Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à permettre une meilleure organisation, avec une adaptation psychologique et une sélection individuelle amenant à profiter de cette organisation. Il a donné ainsi, non des recettes susceptibles d’être appliquées aveuglément dans chaque usine, mais une méthode d’investigation dont chacun peut s’inspirer pour en tirer parti judicieusement dans les cas où elle convient.

Cette méthode n’est pas applicable sans quelque peine. Toute étude scientifique, qui s’attaque à la complexité de la nature, doit d’abord s’efforcer d’en isoler les phénomènes pour les étudier séparément. Ce qui fait à la fois la difficulté et l’intérêt d’une recherche semblable à celle de Taylor, c’est que la production de chaque ouvrier, objet de son examen, dépend de très nombreuses variables indépendantes, exerçant chacune leur influence. Or, ces influences distinctes, dont les effets se confondent, l’ouvrier n’a pas la possibilité de les apprécier isolément. Livré à lui-même dans la complication d’un atelier moderne, il est incapable de modifier, pour cela, toute une organisation dont il dépend. Il a donc besoin qu’on lui vienne en aide à cet égard par un véritable laboratoire de recherches. Le Taylorisme consiste à organiser ces recherches, souvent coûteuses, puis, ce qui est non moins important, à en faire accepter progressivement les conclusions par le personnel.

Dans l’organisation du travail, on admet souvent comme un axiome que l’ouvrier connaît son ouvrage et doit être laissé libre de le conduire à sa guise. C’est évidemment faux pour une usine moderne, où chaque individu se trouve entouré d’engins nouveaux, dont il n’a jamais eu l’occasion d’apprendre les principes les plus élémentaires. Mais Taylor remarque, en outre, avec raison, que les opérations les plus élémentaires, livrées au seul empirisme, ont pu être répétées pendant des générations successives sans aucun progrès et que toutes sont à reprendre méthodiquement. Il a choisi, comme exemples, deux cas très simples et qui sont devenus classiques, celui du chargeur qui porte des gueuses de fonte dans un wagon (simple travail de force) et celui du maçon construisant un mur de briques (travail demandant un effort modéré) pour montrer que, dans les deux cas, on peut, avec une peine moindre, doubler ou tripler le rendement. A plus forte raison quand la tâche à accomplir demande surtout de l’adresse. Pour les gueuses de fonte, il suffit d’établir un rythme convenable d’efforts et de repos alternatifs