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force en grippements, en bruits, en échappements de vapeur, en fumées. L’homme peut s’efforcer de l’imiter sur le second point, mais non sur le premier. Il ne saurait travailler avec continuité, mais il doit régler ses alternatives d’activité et de délassement suivant un rythme approprié, pour réduire sa fatigue. Il n’est pas non plus assimilable à un organe brutal comme une bielle, un engrenage ou un piston. Là où cette brutalité mécanique suffit, on n’a qu’à le remplacer effectivement par un jeu de bielles et d’engrenages. Sa valeur propre, dont on doit tirer parti, consiste en ce qu’il peut substituer à la rigidité du mécanisme la force d’initiative intelligente et souple qui appartient à lui seul et qui caractérise tout particulièrement l’ouvrier français. C’est dans ces conditions seulement que l’ouvrier peut tendre, par un effort de sa raison, à éliminer, lui aussi, les mouvements sans objet. Le chef qui le dirige n’a pas, comme on l’a cru parfois, à lui imposer, arbitrairement et sans discussion, une formule de travail étroite.

L’application du système présente, en effet, deux parties aussi importantes l’une que l’autre : la première, où l’on reconnaît par la méthode analytique la meilleure façon d’attaquer et de mener à bien sa tâche : la seconde où l’on convainc les ouvriers d’adopter cette façon. L’industriel met ainsi au service de l’ouvrier un outillage expérimental exigeant des recherches longues et coûteuses, dont il lui donne les résultats tout obtenus avec démonstration à l’appui, comme un professeur de chimie répète une réaction devant ses élèves sans avoir besoin de leur faire partager le labeur de plusieurs années, parfois de plusieurs générations, qui a amené à découvrir le phénomène reproduit en un instant.

L’inventeur de la méthode que nous allons analyser, Frédéric Winslow Taylor, était, non un théoricien, mais un industriel et un inventeur pratique. Avant de développer ses idées sur « l’organisation scientifique du travail dans les usines, » il avait commencé par découvrir les aciers à coupe rapide qui ont révolutionné la construction mécanique en doublant ou triplant le rendement des machines-outils. Son but était d’augmenter le produit du travail, de mieux utiliser le mécanisme humain et, finalement, d’accroître les bénéfices et les salaires. Il y est arrivé, par un effort de longues années, en combinant un système de chronométrages et de mesures destiné