Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drapeau allemand a disparu de la surface des mers, qui l’aura fait ? Le mineur britannique aidant le soldat britannique. »

Et, élargissant l’image, dépassant le corps de métier qu’il a devant lui pour s’adresser du même coup à tous les travailleurs du pays et leur rendre visible le grand but commun :

« Il nous faut, poursuivait-il de sa voix rythmique, payer le prix de la victoire si nous voulons la gagner. La victoire a son prix. Nous n’avons qu’une question à nous poser, dans tous les grades et toutes les professions : Faisons-nous assez pour assurer la victoire ?... Les tranchées ne sont pas toutes en Flandre. Chaque puits est une tranchée dans ce pays, un labyrinthe de tranchées. Chaque atelier est un rempart, chaque arsenal qui peut produire des munitions de guerre est une forteresse. Pioches, pelles, tours, marteaux, ce sont aussi bien les armes de cette grande guerre de la liberté européenne qu’une baïonnette, une carabine et une mitrailleuse, et l’homme qui ne les manie pas de toutes ses forces manque autant à son devoir que le soldat qui s’enfuit du combat sur le front. »

Pour apprécier la nécessité et l’influence de pareilles harangues, il faut que les Français ne les jugent point en songeant à eux-mêmes. Il faut qu’ils fassent un effort de sympathie et de fraternelle clairvoyance pour se représenter l’état d’esprit absolument général d’où la Grande-Bretagne est partie. La terre de France a été de tout temps envahie et de tout temps libérée. Toutes les grandes invasions sont venues se briser chez nous, puis ont été refoulées. Toutes les horreurs de l’occupation, nous en avons le sentiment héréditaire, et c’est l’instinct profond de notre race entière, telle que l’a formée l’histoire, qui se soulève à l’heure du péril et nous jette aux frontières. Comment en eût-il été de même en Grande-Bretagne, où la dernière maison brûlée du Comté d’Essex l’a été par les Danois, au IXe siècle ?... L’Angleterre vivait à l’abri de sa flotte, ayant peu à peu relâché cette belle « ceinture d’argent, » comme disait Shakespeare, qui lui servait de cuirasse, la mer. Là nul instinct à réveiller, nulle image et nul souvenir à faire revivre dans l’âme populaire ; rien qu’une froide abstraction qu’il fallait animer, un idéal dont il fallait faire une réalité agissante, le Droit humain, l’honneur national. Ce peuple, le plus empirique des peuples civilisés, qui ne se décide qu’après l’épreuve et qui n’entend, si l’on peut dire, que ce qu’il voit, il a fallu le