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et déjà ami personnel de M. Lloyd George, menait dans le Times et dans ses autres journaux, une campagne violente contre M. Asquith et sa conduite de la guerre. M. Lloyd George lui-même, dans la préface d’un livre, avait publié un appel retentissant à l’énergie et à l’esprit de sacrifice de la nation. Il est à penser que, dans ces heures critiques où il sentait en suspens la destinée de sa patrie, il n’était point, pour ses collègues du Cabinet, un collaborateur agréable ! A ce moment, chaque membre du Cabinet britannique restait, à la tête de son Département, un chef presque indépendant. L’unité politique qu’en temps de paix assurait au Premier Ministre sa qualité de chef de parti, n’existait plus ou presque plus. Chacun travaillait de son mieux, mais presque isolément : de là tant de lenteurs et de flottements, dont s’irritait M. Lloyd George ! L’Italie venait d’être écrasée, le péril était extrême. En vain, autour de lui, ses ennemis commençaient à dénoncer ses intrigues, à l’accuser d’une ambition démesurée : rien ne pouvait le distraire de l’obsession du devoir, et le jour qui décida sans doute du sort de la Grande-Bretagne, fut celui où le Ministre des Munitions remit au Premier Ministre l’ultimatum dans lequel il exigeait que la conduite de la guerre fût confiée à un Comité de trois ou quatre membres armé de pleins pouvoirs, et duquel, lui, le Premier Ministre, serait exclu, au moins effectivement » — proposition qui équivalait au renversement immédiat de M. Asquith.

Or, depuis bientôt dix années, M. Lloyd George avait vécu dans une parfaite intimité d’homme et de ministre avec M. Asquith. Il lui devait son élévation, peut-être une partie de son prestige. II lui était attaché par la reconnaissance et la fidélité. Mais ces sentiments personnels, capables de le déchirer dans son cœur, devaient-ils troubler son jugement et son patriotisme ? M. Lloyd George était convaincu que la guerre était la plus grande que l’Angleterre eût jamais faite, que de cette guerre dépendait le salut de l’Angleterre, et que l’Angleterre ne s’en doutait pas, que son chef ne s’en doutait pas non plus, et que l’heure allait passer. Il ne s’agissait pas d’étroites convenances, mais de l’intérêt national, de l’intérêt de l’humanité. M. Lloyd George balança une heure, exactement, puis prit parti contre lui-même, pour la Patrie, pour l’Humanité. C’était beaucoup moins une crise politique qu’il avait provoquée dans le Cabinet