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principe d’ensemble. Il est exactement, à cet égard, le contraire du président Wilson, venu de l’Université à la politique, de la théorie à la pratique, des livres à l’action. Né dans l’action, formé par l’action, M. Lloyd George n’en sort que pour se reposer. Voyez-le à ses heures de fatigue, de dépression. Il s’enfuit dans le joli cottage qu’il s’est fait aménager au milieu de son pays natal et là, pendant deux jours, s’assied en face des montagnes ou de la mer, sans bouger, et probablement sans penser à grand’chose. Puis, dès qu’il s’est ressaisi, à la tâche ! Si, alors, vous le voyez réfléchir et s’agiter, c’est qu’il cherche une décision urgente : la décision prise, il ne revient jamais en arrière. Nous avons observé avec quelle promptitude et quelle précision son intelligence s’adapte aux circonstances et se prête aux besognes les plus diverses : il est un causeur brillant, primesautier, plein de saillies et d’images ; il est aussi un auditeur attentif, doué d’une mémoire supérieure, qui interroge, comprend, se renseigne. Sa carrière gouvernementale, à tous les degrés du pouvoir qu’il a franchis, a été un perpétuel apprentissage suivi d’une immédiate maîtrise : aptitude tout empirique. Si M. Lloyd George n’est pas, à proprement parler, un esprit créateur, d’où vient donc son rayonnement ?

M. Maurice Barrès, rendant compte d’un déjeuner qu’il avait fait avec lui, semble avoir été surtout frappé par le caractère rêveur de son hôte. Il s’étonne d’abord de cette petite taille, de cette figure impressionnante, passant rapidement d’une sorte de repos songeur à l’animation. Puis il croit le comprendre et découvrir enfin le secret de ce petit homme « dans l’immense rêverie qui remplit toujours le cœur des gens du Pays de Galles, d’Irlande et de Bretagne, dans cette musique à laquelle il se livre et qui lui dicte des discours consolateurs pour le plus grand nombre. » Oui, M. Lloyd George est un rêveur. Oui, il a fait entendre aux humbles, aux pauvres, à tous ceux qui peinent, la vieille chanson qui berce les espérances éternelles. Mais ne vous bornez pas à regarder ces yeux visionnaires ; observez ce geste rapide qui, par moments, semble tenir du déclic, cette soudaineté d’idées et de décision, cet allant, ce perpétuel frémissement qui a fait surnommer M. Lloyd George « l’hyène » (c’est la mode aujourd’hui pour les chefs victorieux de l’Entente, que ces noms de fauves), et vous sentirez que si le rêve est ici présent, c’est comme le ciel au-dessus