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le premier discours de cette campagne dans le Pays de Galles, il s’écrie : « Si je ne saisis la première et toutes les occasions de protester contre ce que je considère comme une infamie, je me jugerai un traître devant Dieu et devant les hommes. Et je proteste donc ici ce soir, dussé-je quitter Carmarthen demain sans un ami. »

Il va jusqu’à Birmingham, fief électoral de Chamberlain. Malgré les prières de ses amis, il se rend à un meeting d’où il n’échappe que par miracle. A plusieurs reprises, il a vu sa femme aussi exposée que lui-même à la colère populaire. Dans cette lutte pour la paix, on peut dire qu’il avait fait le sacrifice de sa vie.

Tel fut, en 1900, l’homme qui, au sortir du Conseil interallié où s’est fixé le destin de l’Europe et du monde, est venu proclamer, à la Chambre des Communes, l’implacable volonté des Alliés de réduire et de châtier l’Allemagne, celui qui, depuis, a décrété que la paix, comme la justice, devait être sévère. Entre le Lloyd George de 1900 et le Lloyd George de 1914 et de 1918, on n’a pas manqué de chercher une contradiction, parce que nous avons l’habitude de juger les faits et non les êtres eux-mêmes. Mais à l’heure où l’histoire précipitée du monde réservait aux hommes chargés de le diriger tant de péripéties, le fil conducteur de cette changeante et pathétique destinée, nous le savons, c’est la conscience, la seule conscience personnelle. A ces deux époques de sa vie, Lloyd George n’a consulté que lui-même : jadis, la guerre contre les petites Républiques ne lui a pas paru juste ; aujourd’hui, la guerre contre l’Allemagne lui a paru sainte. Nulle contrariété, mais continuité profonde de l’idéal, — source unique, non seulement d’énergie et d’abnégation, mais d’influence et de succès.

Lloyd George, en effet, ne devait pas tarder à recueillir les fruits de son courage et de sa décision. Alors qu’on pouvait le croire perdu dans l’opinion publique, il est bien vite devenu le seul point fixe où elle dût se ressaisir. Le parti libéral, durant toute la crise, avait flotté, mais une génération avait grandi en Angleterre, qui réclamait, avec la paix, une impulsion nouvelle. Les élections de 1905 confirmèrent à la fois cette victoire libérale et un profond malaise politique. Les lois dépendaient encore du roi, de la Chambre des Communes, née du suffrage, et de la Chambre des Lords, héréditaire. La majorité