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chef de la petite confession, naturellement non-conformiste, du village, puisque la vive originalité des Gallois ne se traduit pas seulement par leurs mœurs et leurs paysages, mais par un sentiment d’indépendance qu’ils portent jusque dans leur pratique religieuse. Au-dessus du village, à mi-colline, le petit Lloyd apercevait le château fort, la muraille féodale, demeure du haut baron, seigneur et propriétaire du pays. Mais, à côté, au-dessous, presque invisible au pied de la montagne, il y avait aussi une petite maison en briques rouges, avec une pancarte portant une inscription discrète : « Baptiste. » C’était la chapelle, la maison des pauvres, la maison de Lloyd George et de son oncle. Là, on apprenait à ne pas souffrir, à ne pas se plaindre : on apprenait aussi toute l’histoire de l’âme galloise. Car, jamais dans l’histoire du Pays de Galles, la chapelle ne s’était inclinée devant le château. Sanctuaire de la foi, elle l’est aussi de la liberté. Quand on en sort, on en garde l’inspiration et on en commente la leçon. On se réunit dans la forge du forgeron, autour du brasier en veilleuse. On achève la journée du dimanche à lire les textes sacrés, à parler de ce qu’on a lu. Le premier parlement de Lloyd George fut cette forge de village, ses premiers sujets : la vie éternelle, la damnation, Satan, le ciel et le salut, l’âme de l’oncle animait le neveu. L’atmosphère était brûlante ; un pieux enthousiasme inspirait ces simples ; leurs entretiens monotones tenaient de l’oraison et tout ce dont ils parlaient, tout ce souffle de l’au-delà qui les saisissait ; ils le sentaient et l’aimaient : c’était pour ces hommes et cet enfant une réalité passionnée. Qu’importaient les privations des autres jours, quand il y avait le dimanche ?… La chapelle faisait oublier la maison.

Qu’on imagine donc la ferveur d’un mysticisme qui, venu des profondeurs de l’âme galloise, ne cessera d’illuminer l’àme de celui qui en aura le plus fidèlement ressenti et exprimé toutes les aspirations. Lloyd George, son examen d’avoué une fois passé, peut devenir homme de loi, il ne suivra que l’esprit : sa clientèle, ce sont encore des villageois, des humbles, des pauvres, des pêcheurs d’étang. Il ne fait pas un métier (l’argent est toujours rare, hélas !), il exerce un sacerdoce. Il y met tant de fougue et de sincérité qu’à vingt-cinq ans, il fait scandale en défendant la justice et devient célèbre en perdant sa cause. L’aventure est bien étrange.