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Ainsi, politiquement et socialement, il semble que Lloyd George ait réalisé toutes les contrariétés. Alors que les usages l’écartaient du pouvoir, il s’est élevé au premier rang ; pacifiste, il a jeté son pays dans la guerre à outrance ; révolutionnaire, il gouverne le pays le plus traditionaliste de la terre ; défenseur des prérogatives syndicales, il a fait de l’autorité l’usage le plus énergique ; libéral, il a composé son cabinet d’Unionistes. Victorieux enfin et redevenu, dès la signature de l’armistice, réformateur social, il est soutenu par ses anciens adversaires et combattu par ses premiers amis.

Ce n’est donc pas l’œuvre du premier ministre britannique que nous voulons résumer ici ; tentons plutôt de suivre l’histoire intérieure d’une âme qui, à travers tant de péripéties personnelles ou nationales, mêlée au plus grand drame du monde, n’a jamais consulté, en ses crises rapides, que son austère conscience ! Peut-être, du même coup, jetterons-nous quelques lueurs sur l’âme même de ce grand peuple fraternel, presque inconnu de nous, inconnu de lui-même, si proche de notre cœur et pourtant si mystérieux, l’Angleterre nouvelle !


III

Un jour de l’année 1866[1], un modeste cordonnier, du nom de Richard Lloyd, habitant un petit cottage dans le village gallois de Llanystumdwy, recevait une lettre lui annonçant le veuvage de sa sœur, mariée à un instituteur pauvre, et la détresse dans laquelle elle restait avec ses enfants.

Ce cordonnier, oncle de Lloyd George, prit à sa charge les malheureux ; il prit surtout à son compte l’éducation et l’avenir de son neveu, « Mon oncle, a rapporté M. Lloyd George, ne se maria jamais ; il se donna la tâche d’élever les enfants de sa sœur comme un devoir sacré et suprême. À ce devoir, il consacra son temps, son énergie et tout son argent. »

Le temps et l’énergie furent un don magnifique. Pour instruire son neveu, le cordonnier se mit lui-même à l’étude, apprit le latin, essaya du français, et s’employa si bien que l’enfant devait bientôt combler tous les rêves ingénus dont il était

  1. Outre la belle étude d’Auguste Filon : Lloyd George et la Démocratie puritaine, parue ici même en janvier 1910, j’ai lu avec profit la biographie rédigée par M. Frank Dilnot.