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dix-huit mois, et les médecins allemands affirmèrent alors, non sans raison, que cette cure de sous-alimentation profitait à la santé générale. Mais la guerre dura, et chaque jour le peuple souffrit davantage de ne plus manger à sa faim. (L’armée fut, jusqu’au bout, beaucoup mieux nourrie que la population civile, ce qui explique, pour une part, l’endurance des soldats, alors qu’à l’arrière, les corps s’anémiaient et les volontés se détendaient.) Il souffrit de la disette, il souffrit des abus et des injustices provoqués par la spéculation ou l’accaparement, il souffrit des vexations que lui infligeait la complexité des règlements. Atteint dans son bien-être, dans ses habitudes, dans sa santé, il en vint lentement à une sorte de neurasthénie, passa par des alternatives d’irritabilité et d’atonie. Or, jamais la situation économique n’avait été plus grave qu’à l’heure où survinrent les premières défaites de l’armée allemande sur le front occidental, jamais la dépression nerveuse n’avait été plus profonde.

On ne trouvait sur les marchés ni fruits, ni légumes. Les pommes de terre manquaient. La graisse devenait toujours plus rare. Il fallait instituer des semaines sans viande. Le charbon faisait défaut. La pénurie de fourrages était extrême. La Hollande suspendait ses exportations. L’Ukraine n’expédiait pas les céréales promises. Le commerce clandestin rendait illusoire la fixation des prix-limite. Les fraudes les plus scandaleuses exaspéraient le populaire et provoquaient de véritables émeutes. Le délégué des syndicats ouvriers, s’adressant au chancelier, lui tenait ce langage : « A la suite des privations, les forces des ouvriers décroissent d’une façon inquiétante. Ils ne sont plus en état d’exécuter des travaux qui autrefois étaient un jeu pour eux... Il est grand temps d’intervenir, car l’irritation est immense dans le prolétariat... Le gouvernement doit pendre immédiatement les accapareurs, saisir toutes les denrées alimentaires et les rendre accessibles au peuple, supprimer les semaines sans viande et donner plus de pommes de terre... Pour faire contrepoids à la sous-alimentation, il est nécessaire de réduire la durée du travail... » (Frankfurter Zeitung, 13 septembre [1]. Aussi les statistiques des causes de maladies

  1. Grâce à la nouvelle récolte, la situation alimentaire s’est améliorée dès le commencement d’octobre. A l’heure présente, le rationnement est moins rigoureux, la population mieux nourrie. Jusqu’au printemps, l’Allemagne disposera de provisions largement suffisantes.