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restait sur le trône. Comment et dans quelles conditions le monarque renonça-t-il à la couronne ? A-t-il même prononcé une abdication formelle ? Il règne un grand mystère sur les péripéties de cette tragédie. Et, après tout, la tragédie ne fut peut-être qu’une comédie : l’avenir nous renseignera.

Si les détails de la retraite de l’Empereur nous sont mal connus, nous sommes édifiés sur l’attitude de son peuple. Nous n’ignorons rien des motifs qui déterminèrent l’Allemagne à congédier son souverain. Elle était, elle est encore le pays le plus monarchiste de l’Europe. Dans une réunion tenue à Carlsruhe, le socialiste Marum s’exprimait ainsi : « Certes, nous autres socialistes, nous sommes républicains et à ce titre nous n’avons pas lieu de prendre la défense des Hohenzollern. Mais ne nous faisons pas d’illusions : dans sa majorité, le peuple allemand est encore monarchiste. Ce qui nous importe, c’est d’obtenir une constitution fondée sur le droit. Que ce soit avec ou sans monarque, la question est secondaire... » (Frankfurter Zeitung, 3 novembre.) Ainsi, même parmi les socialistes, point d’hostilité déclarée contre les Hohenzollern ; quant au reste du peuple, il demeure attaché à la dynastie. Le renvoi de l’Empereur n’a donc été qu’un expédient pour hâter et faciliter la conclusion de la paix. Les adversaires de l’abdication se sont contentés de faire humblement observer qu’après tout, Wilson n’avait jamais exigé la déchéance des Hohenzollern. Les lignes suivantes du grand journal catholique de Cologne, la Kœlnische Volkszeitung, méritent d’être citées : « Les changements constitutionnels auxquels nous procédons, certes non sur les désirs de Wilson, mais tout de même conformément à ses désirs, ont une importance capitale pour Wilson, et influent d’une façon décisive sur son examen des possibilités de paix. C’est ce qui ressort avec toute la netteté désirable de la dernière phrase de sa troisième note. Dans cette dernière phrase, il n’est en aucune manière question de l’abdication de l’Empereur. Même en lisant entre les lignes, on ne voit pas que Wilson exige un tel geste. Il distingue nettement entre deux possibilités : ou bien une paix d’entente avec une Allemagne transformée dans un sens démocratique, ou bien une capitulation si les « maîtres militaires » restent au pouvoir. Si Wilson avait exigé l’abdication, il l’aurait dit nettement, car il proclame souvent qu’il parle un langage franc et sincère. » (Kœlnische Volkszeitung, 3 novembre.)