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sont absurdes, tant que le navire lutte contre l’ouragan. Et il est plus fou encore de se quereller pour savoir comment il a été surpris par la tempête... Nous n’avons plus besoin que d’une chose : que chacun travaille inlassablement à la place qui lui a été assignée... Surtout ne faisons rien tant que les vagues n’auront pas cessé d’assaillir le navire... (Kœlnische Zeitung, 10 septembre.)


Ces sages conseils viennent trop tard. L’heure n’est plus à l’héroïsme. Déjà, dans l’espoir d’apaiser les dieux, une partie de l’équipage parle de jeter le pilote par-dessus bord... Et la tempête redouble de violence. Les armées ont été ramenées sur les lignes d’où elles étaient parties, six mois auparavant, pour leur « grande offensive, » et chacun s’attend à voir les troupes de Foch poursuivre leurs assauts. Personne ne prend au sérieux la proposition de paix de l’Autriche-Hongrie, et, du reste, l’accueil qu’elle a reçu des chefs de l’Entente, et en particulier de M. Clemenceau, ne laisse place à aucun espoir. A Berlin, la succession de Hertling est virtuellement ouverte. Les socialistes se préparent à s’emparer du pouvoir, affirmant que seul un gouvernement populaire pourra proclamer la levée en masse ou faire la paix, au choix. Quant aux pangermanistes, ils sont à la recherche d’un « homme fort ; » ils continuent de célébrer les vertus du militarisme prussien, comme si leurs armées étaient toujours aux portes de Paris. C’est le 13 septembre 1918, qu’on peut lire dans un des principaux journaux de Berlin : « Le caractère spécifique allemand est l’union de l’esprit grec et de la force romaine... Le militarisme allemand n’est pas la force brutale contre laquelle s’insurgent nos ennemis. Le peuple des poètes et des penseurs est sans doute armé de pied en cap, mais sous le fer de la cuirasse bat un cœur chaud plein d’enthousiasme pour les plus nobles biens de l’humanité... Le militarisme allemand... c’est l’incarnation de l’impératif catégorique de Kant, c’est la sagesse paulinienne devenue vie... Le militarisme allemand est une puissance civilisatrice au même titre que l’idéalisme de Platon, le christianisme, l’humanisme et la Renaissance. Avant tout c’est une grande et merveilleuse œuvre d’art... Dans cette guerre, nous ne faisons qu’accomplir la mission qui, dès le commencement, a été donnée à notre peuple. Tout ce qui se passait auparavant dans les pays allemands, n’était que la préparation de cette guerre Les générations futures s’en rendront compte... »