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charges. Une succession moyenne de 300 000 francs partagée entre trois enfants paiera en tout 4,54 pour 100, tandis qu’auparavant, elle n’eût été taxée qu’à 2,19. Autrefois, le maximum absolu des tarifs était de 29 pour 100 ; il est aujourd’hui de 60, en l’absence d’enfants. En 1913, les mutations par décès ont fourni 327 millions au budget ; actuellement, elles produiraient 646 millions pour une année entière[1]. — Le pays supportera-t-il sans risque un pareil poids ? L’épreuve sera rude pour les patrimoines privés, que quelques mutations rapprochées mèneront à l’anéantissement, faute du délai nécessaire pour se reconstituer entre temps[2]. La menace sera sérieuse pour les entreprises agricoles, industrielles et commerciales, pour toutes les œuvres de longue haleine, les plus profitables pour la société ; comment échapperont-elles aux dislocations éventuelles, aux liquidations ruineuses, sans parler du risque plus général de crise économique ? Enfin, le danger sera grave pour la fortune publique : c’est l’absorption lente du capital national par le moderne Minotaure, l’Etat. Si l’impôt pouvait se payer sur le revenu, il n’y aurait que demi-mal ; et de même si l’impôt devait aller tout entier à l’amortissement de la dette publique : il n’y aurait que transfert, et non perte de richesse. Mais le fait est que l’Etat, pour ses besoins courants, prend sur le capital des particuliers, sans que ceux-ci aient d’ordinaire la facilité, si même ils ont la possibilité, de se couvrir par un amortissement ultérieur ou préalable. Comme le prodigue, il consomme son fonds, ou plutôt le fonds des Français. Il dévore, sinon ses enfants, du moins leur fortune, pour leur conserver un père. Il mange en herbe son blé, l’espoir de l’avenir et le gage des impôts de demain.

Si impérieuses que soient les nécessités budgétaires, ce n’est

  1. L’Angleterre a deux catégories de droits successoraux : les legacy and succession duties, droits proportionnels frappant la part nette de chaque héritier (1 pour 100 en ligne directe ou entre époux, 5 entre frères et sœurs, 10 dans les autres cas) ; et l’Estate duty qui frappe l’ensemble de la succession selon un tarif progressif allant de 1 à 20 pour 100. Le maximum effectif des droits combinés ne dépasse pas 30 pour 100. Le produit de l’impôt- n’est compté au dernier budget que pour 29 millions sterling (725 millions de francs) : on sait que la fortune britannique est de beaucoup supérieure à celle de la France.
  2. A l’étranger, on a pris des mesures de prévoyance pour la protection des patrimoines. En Angleterre, il y a de fortes détaxes en cas de décès successifs à bref intervalle. Rien de pareil en France ; une loi de 1911 a seulement allongé les délais pour le paiement des droits par acomptes ; il y a là une grave lacune.