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évoluant parmi les intrigues des conspirations, républicain opérant parmi des monarchistes.

Alexeief est celui qui a le moins changé. Réfléchissant beaucoup, parlant peu, en mots nets et brefs à son habitude, il est comme tous ceux que meut l’intelligence plutôt que la passion : il n’a pas subi autant que les autres l’influence des nouveaux événements.

Sous le frac qui remplace les brillants uniformes d’hier, beaucoup d’officiers font peine à voir. On les dirait descendus de deux ou trois degrés sur l’échelle sociale. Des dos un peu voûtés, des ventres un peu bedonnants, des visages un peu flasques, qui faisaient leur petit effet en uniforme, ne sont plus que piteux sous le costume civil. Inversement, des gentilshommes, en tenue de simples Cosaques, ne sont que très imparfaitement déguisés : l’aisance et la souplesse de leurs attitudes, la distinction de leurs traits, la finesse de leurs mains sont des signes qui ne trompent pas.

L’officier de service est une jeune femme, la baronne von Rode, si élégante et charmante dans son costume collant, saluant avec un tel empressement, si polie, — très correcte, d’ailleurs, et aussi peu entourée que peut l’être une jolie femme, — qu’on serait tenté de sourire, si l’on ne savait qu’elle a été deux fois blessée sur le champ de bataille et qu’elle a amplement mérité sa décoration. Une autre jeune femme, le lieutenant princesse Tcherkaskaïa, bien connue dans la société de Petrograd, et qui venait d’épouser un officier, a chargé à la tête de ses hommes et a été glorieusement tuée à l’ennemi.

C’est ici la dernière redoute du bon ton, le dernier rendez-vous des élégances de la Russie. Cette poignée de braves ose résister à la formidable marée des dizaines de millions de déments qui clament leurs revendications sociales. Et au spectacle de l’immense solitude qui entoure ces patriotes, généraux, hommes et femmes de la cour, républicains honnêtes, on ne peut se garder d’une impression de stupeur épouvantée.

L’armée de volontaires est en voie d’organisation : pour la défense de la ville, on n’emploie que de petites unités, des compagnies, des escadrons. Le régiment de Kornilof, le bataillon de Saint-Georges, les compagnies d’officiers de la garde, la division de cavalerie Gerchelman et quelques détachements d’éclaireurs, — en tout, comme je l’ai dit, à peu