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Le repli s’échelonne… Une section tire. L’autre monte un peu la pente et tire à son tour. Cet ordre mécanique recompose le caractère : on fait face. Je demande à un sergent : « Sur quoi tire-t-on ? — Tu ne les vois pas, là-bas, entre le petit bois et la route, adroite ? » Mais si, je les vois : les matins ! A mille mètres ! Ils s’abritent derrière les gerbes de paille et s’en servent pour avancer. Ce n’est pas eux qui marchent ; c’est le champ. Nous garnissons la hauteur et tirons sur les moyettes vivantes. Les gradés maintiennent et stimulent leurs hommes, les raccolent : « Rassemblement. Il faut les dégager, les camarades ! Tu dois bien tirer, toi ! » Le capitaine Avelot, un grand centurion, au bon sourire, décoré d’une médaillé coloniale, a pris un fusil et paie d’exemple. De notre butte, nous canardons, par-dessus les arbres de la route, une compagnie qui vient vers nous. « Cessez le feu ! » La clarté diminue. Sous le ciel moins rayonnant, les masses du paysage s’ordonnent. Au loin, les obus renfoncent la couche d’air, inégaux en son. Le capitaine s’adresse à nous. « Je ne sais pas où, est le régiment. Si vous devez être sauvés par quelqu’un, vous le serez par moi. Je vous conseille donc de m’obéir. Ce soir vous ferez encore une longue marche, mais ensuite vous dormirez et mangerez. » J’apprends l’intention du capitaine. Il veut retourner au cantonnement d’hier matin, à Renansart, pour s’y renseigner sur la division, voire même sur le régiment… Nous arrivons à Renansart. Le régiment y est. Nous avons erré la nuit… Marin nous accueille : il connaît les nouvelles. Le grand coup a eu lieu hier. Notre échec ne signifie rien. L’ennemi est repoussé : nous sommes vainqueurs. Les officiers s’entretiennent des pertes : le colonel a été tué sur la route d’un éclat d’obus au crâne. Il a expiré tandis qu’on le transportait. Le commandant Théron a été blessé à la poitrine. Le capitaine Dolbeau ne pourra pas survivre. Un grand nombre d’hommes aussi sont morts ou blessés… Je m’assieds sur un gros tronc à côté de Marin. Il me répète que la journée a été bonne, puisque le régiment a couché deux nuits au même endroit. On savait bien qu’il suffisait de vouloir pour les battre.


Ainsi, dans le désordre d’une retraite, d’ailleurs solidement maintenue, le bruit d’un succès de l’armée française s’était déjà répandu, même dans ces divisions de réserve, les plus éprouvées. Et, en effet, la journée avait pris, sur d’autres points du champ de bataille, une tout autre tournure.

Fin de la journée du 29, au 18e et au 3e corps. — Il suffit, en effet, de suivre la bataille en remontant vers le cours supérieur de l’Oise pour voir les teintes de moins en moins sombres se dégrader au fur et à mesure que l’on se rapproche de Guise.