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sans doute cet habile homme, quand il s’aventure parmi les soldats et les paysans, compte instinctivement sur sa présence d’esprit, pour écarter de lui tout danger. Au feu, c’est différent: on ne parlemente pas avec les balles.


Le 13/26 janvier.

A toutes les gares par où nous passons, si nos Cosaques descendent sur le quai, aussitôt se mêlent à leurs groupes des individus surgis on ne sait d’où : ce sont des matelots et de ces curieux ouvriers-agitateurs aux gestes rigides, au regard halluciné, à qui trois idées et dix mots techniques suffisent pour haranguer et enthousiasmer les foules. Le résultat ne se fait pas attendre : des désobéissances se produisent, soulignées de répliques insolentes. Finalement le contact des officiers avec leurs hommes est rompu. Plus d’ordres : chacun fait ce qu’il veut.

Dans l’après-midi, le docteur revient. Le passage du Dniepr s’annonce comme une opération très hasardeuse. Tous les ponts sont entre les mains des Bolcheviks ; le seul moyen de transport est un bac, qui ne peut prendre que 20 hommes avec leurs chevaux et qui met deux heures aller et retour. Notre échelon, qui compte 150 hommes, mettrait donc au moins seize heures pour traverser le fleuve : ceux qui resteraient les derniers seraient en grand danger.

A Dolgintzewo, le chef de l’échelon reçoit une dépêche du commissaire des Cosaques à Znamenka, lui enjoignant d’attendre l’arrivée d’un secours en artillerie, qui permettra d’attaquer Alexandrovsk. On consulte les Cosaques; ils sont d’avis de continuer à avancer : on continue.

A Nicopol, dans la soirée, nouvel ordre formel du commissaire de Znamenka : attendre sur place l’arrivée de l’artillerie ; on compte surtout sur le régiment des Tekintsi (Afghanistan), complètement dévoué au général Kornilof.

C’est l’occasion d’une scène pénible entre officiers et Cosaques. Ces derniers crient qu’on les trompe : « C’est un mensonge de dire que les Bolcheviks nous prendront nos fusils. » Ce sera bien inutile en effet : les drôles sont tout prêts à les rendre... Les officiers ont la rage au cœur : ce qui ajoute à leur humiliation, c’est que j’assiste à la scène. Ils me prient de les accompagner au Don, mais je refuse. Je ne veux pas