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que si, comme il en avait conscience, il ne s’était pas toujours conduit aussi bien qu’il l’aurait dû envers votre fille, laquelle méritait tous les bonheurs du monde et ne lui avait jamais causé, à lui, nulle peine quelle qu’elle fût, il implorait à la fois le pardon de Votre Excellence et le sien à elle, pour qui son cœur était maintenant brisé. » Il continua en me disant que « dans chacune de ses prières, il avait demandé à Notre Seigneur Dieu de faire que la duchesse lui survécût, parce qu’il plaçait en elle la confiance et la paix de son âme. Et puisque telle n’avait pas été la volonté de Dieu, il priait et ne cesserait jamais de prier que, s’il était jamais possible pour un vivant de voir les morts, Dieu voulut lui faire la grâce de la voir et de lui parler une seule fois encore, parce qu’il l’avait aimée plus que soi-même. »

Après beaucoup de cris et de lamentations, il finit par me prier d’assurer Votre Excellence que l’amour et l’affection qu’il vous porte ne seraient jamais diminués si peu que ce soit et qu’il garderait les mêmes sentiments envers vous et envers tous vos fils, tant qu’il vivrait, en prouvant par ses actions la profondeur et la fidélité de ses pensées. Alors, je pris congé et il me dit de suivre le corps, avec une nouvelle explosion de douleur, se lamentant en des termes si vrais et si naturels que les pierres même en auraient été émues. Ainsi, toujours pleurant, je revins rejoindre les autres ambassadeurs qui tous s’approchèrent et exprimèrent leur douleur et leur sympathie pour Votre Excellence en termes pleins de chaleur et de compassion.

Les obsèques qui suivirent furent célébrées avec toute la pompe et la magnificence possibles. Tous les ambassadeurs présents à Milan, parmi lesquels celui du roi des Romains, deux du roi d’Espagne et d’autres de toutes les puissances d’Italie, levèrent le corps et le portèrent jusqu’à la première porte du Castello. Là, les conseillers privés prirent le corps à leur tour et, au coin des rues, des groupes de magistrats attendaient pour le recevoir. Tous les parents de la famille ducale portaient de longs manteaux de deuil qui traînaient à terre et des capuchons. Je marchais le premier avec le marquis Ermès et les autres suivaient, chacun à son rang. Nous la portâmes à Santa Maria delle Grazie, accompagnés d’une suite innombrable de moines, de nonnes et de prêtres, qui portaient des croix d’or, d’argent ou de bois ; un nombre infini de gentilshommes et de bourgeois et de gens du peuple, une foule de tout rang et de toute classe, tous pleurant et faisant les plus grandes lamentations qu’on puisse entendre pour la grande perte que la mort de la duchesse faisait éprouver à cette cité. Il y avait tant de torches de cire que c’était magnifique à voir ! Aux portes de Santa Maria delle Grazie, les ambassadeurs attendaient pour recevoir le corps et, le prenant des mains des principaux magistrats, ils le portèrent sur les marches du grand autel, où le très révérend Cardinal Légat siégeait dans sa robe de pourpre entre deux évêques et