Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas songer que, tandis qu’il lui fallait, à chaque coup, plus d’un mois pour relever le pesant marteau de Thor, la rapide épée de Foch a riposté et doublé sans arrêt. Saint-Mihiel a été occupé trois jours après que, d’Artois en Champagne, nous étions arrivés sur la ligne Hindenburg. Déjà le public, auquel cette suite de victoires pouvait presque faire pardonner quelque impatience, croyait voir nos progrès se ralentir. Il a été vite rassuré. Pour l’être pleinement, il n’a qu’à se souvenir du titre que le maréchal Foch a inscrit sur l’un de ses livres : De la conduite de la guerre. La manœuvre pour la bataille. Foch, quand il ne se bat pas, manœuvre. La guerre est conduite.

Elle l’est d’un bout à l’autre par une seule tête, qui est lucide, féconde et forte. M. Lloyd George disait récemment, en une de ses trouvailles pittoresques : « Un général ne vaut pas mieux qu’un autre (et c’est la partie contestable de la formule); mais un général vaut mieux que deux généraux. » Les Latins l’avaient dit dès la République romaine. La vertu de l’unité est telle qu’elle se communique et propage l’esprit d’entreprise, l’énergie, la résolution. Longtemps, le front de Salonique avait dormi. Il vient d’avoir un matin triomphant. Les lignes ennemies ont été enfoncées, le premier jour, d’une profondeur de quinze kilomètres sur trente-cinq kilomètres de longueur. « Les troupes allemandes, accourues pour secourir les Bulgares, ont été mises en fuite avec eux. » En Palestine, la victoire n’est pas moins complète. L’armée britannique a battu l’armée turque, pris Naplouse et Nazareth et fait dix-huit mille prisonniers. L’Occident, l’Orient, tout s’échappe. Le monde manque aux conquérants du monde.

Comment ces mauvaises nouvelles, dans la faible mesure où les « communiqués » officiels et les « informations » officieuses les laissent filtrer, sont-elles reçues en Allemagne? Quelque attention que l’on fasse à surveiller ses mots, on peut dire sans scrupule que l’opinion, ou ce qu’il faut bien appeler ainsi, y subit une crise. Cette lassitude, ce découragement, et sinon ce désespoir, au moins cette perte d’espérance, nous n’en chercherons pas la trace dans les journaux, encore qu’on l’y surprenne au détour de certaines phrases, car il n’est pas, depuis que le peuple allemand en a et qu’elles sont tout pour lui, de miroir moins fidèle et plus déformant que ses gazettes. Natum mendacio genus. Race née pour le mensonge actif et passif; pour le commettre et pour le supporter; et, en effet, le mensonge n’est tout-puissant qu’où la crédulité est parfaite. Mais lisons les Discours à la nation allemande, dont quelques-uns nous