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de plus d’un siècle, et d’abandonner des ressources sûres pour des ressources incertaines. Le rendement financier des impôts nouveaux est, nous l’avons dit, problématique, d’autant que la fraude ne se laisse pas aisément évaluer ni réprimer. Et ne faut-il pas que le Trésor s’alimente et vive, tandis que nous philosophons ?…

La réforme est, nous le savons, coûteuse : tout est si cher à l’heure qu’il est ! On ne peut guère espérer qu’elle rapportera, en sus de ce que rendait l’ancien système, autre chose que ce que donnera net l’impôt global, et quand même les taux du global et des cédulaires seraient accrus, — ils le seront, les tours de vis étant aisés à donner, — ce ne sera pas, tant s’en faut, le Pactole espéré dont les flots d’or devaient remplir le tonneau des Danaïdes de nos budgets. Plus que jamais les impôts indirects, les plus productifs de tous, resteront nécessaires.

Nous doutons que l’impôt sur le revenu, cette « formule fiscale de la démocratie, » soit toujours, comme disait Gambetta, « le plus juste, le plus équitable et le plus moral de tous les impôts, » et nous croirions plutôt avec M. le professeur Seligman, l’un des plus chauds, mais des, plus éclairés de ses avocats, qu’ « il ne constitue en rien la panacée qu’on nous représente souvent, » que « même en théorie il n’est nullement toujours le plus équitable de tous, » encore qu’il soit « peut-être de tous le plus difficile à établir avec justice et exactitude. » Il n’a pas, en soi ou en propre, de vertu bienfaisante, de mérite supérieur ; il vaut ce que vaut l’application qui en est faite, et, faute d’une règle fixe, comme en présentait l’ancien régime fiscal, cette application s’ouvre malheureusement aux tentations et aux dangers de l’arbitraire. Dangers sociaux : ce peut être la suspicion et la corruption, le trouble et la tyrannie dans le pays. Dangers économiques : ce peut être l’impôt de classe et la guerre à une minorité d’otages, l’épargne, la propriété et l’industrie menacées, l’appauvrissement national. La justice menace de devenir une affaire d’échelle mobile ; la paix fiscale, une faveur de l’autorité.

On a connu ces risques dans d’autres pays, qui ont éprouvé avant nous les nouvelles formules d’impôts. Ils sont peut-être plus graves en France, parce que notre démocratie ignore tout frein, tout contrepoids politique ou social ; parce que l’individu,