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expliquerait combien lents et difficiles sont, dans le domaine de la répartition tributaire, les progrès de l’idée de justice, combien incertaine est la voie à suivre, et que d’obstacles il, y a sur cette voie. Et l’on y trouverait une raison de plus, pour qu’à côté de la science, l’art, en matière fiscale, ne perde pas ses droits, et qu’il ne fasse pas défaut à sa fonction, qui est de rechercher l’équité en adoucissant la rigueur des lois économiques.


VI

Tout effort, même incertain, vers un idéal de justice, même obscur, doit donc être le bienvenu. Quand ce ne serait qu’une apparence ou une expérience, il ne messied pas d’en offrir le témoignage au pays qui, demain, devra porter les charges écrasantes de la guerre et se refaire une vie nouvelle dans un monde nouveau. C’est pourquoi nous voulons accueillir avec sympathie la récente réforme fiscale de la France, malgré ses défauts, ses risques et ses dangers.

Cette réforme, nous l’aurions voulue autre qu’elle n’est. Nous croyons qu’au lieu de construire de toutes pièces un nouveau mécanisme fiscal, on aurait pu développer, assouplir et compléter notre ancien système d’impôts, traditionnel et vraiment national, adapté à nos mœurs et à notre esprit ; tout n’est pas dit, d’ailleurs, quant au vieux procédé des signes extérieurs, qui subsistera par endroits, malgré qu’on en ait, dans le nouvel ordre de choses, et dont l’usage, comme moyen de contrôle, ne laissera sans doute pas de se montrer utile, sinon nécessaire[1].

Nous estimons que l’opération était contre-indiquée en pleine guerre. Si, pour la faire admettre, notre majorité parlementaire a cru pouvoir mettre à profit les temps tragiques et la loi de l’union sacrée, et faire d’une si grave réforme la condition du vote des autres impôts nécessaires, nous ne pouvons nous défendre de croire qu’il y avait témérité à tenter l’épreuve avant que le pays soit rendu à une juste paix. Du moins aurait-on pu procéder par étapes, avec prudence, quand il s’agissait de mettre à bas des institutions fiscales qui datent

  1. Voir sur ce point Fr. Sauvage, Les impôts sur les revenus et les moyens de contrôle du fisc, 1 vol. Tenin, 1918.