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attachés des heures durant, à la trace invisible et sonore d’un submersible qui fuyait sous l’eau comme un poisson devant le filet du pêcheur et finalement l’ont traqué au milieu d’une flottille de patrouilleurs, puis anéanti, la grenade au poing. Nul bâtiment ennemi ne peut se dire actuellement en sûreté. Partout sa présence risque d’être démasquée par un bruit discret qui causera sa mort. Nous nous perfectionnons chaque jour et n’épargnons rien pour la formation de nos guetteurs. A Cherbourg fonctionne une école microphonique de fond, qui a pour but d’initier les élèves à l’organisation des réseaux d’écoute côtiers. Elle vient d’être réorganisée par arrêté du 25 avril 1918. Il faut en effet une sérieuse éducation et une longue pratique pour faire un bon guetteur. Dans les mille bruissements de l’onde il importe de discerner le grésillement suspect, si peu sensible soit-il. Il ne suffit pas pour cela d’avoir l’oreille fine et une grande expérience : il faut encore de l’intelligence pour comprendre le rythme de la rotation de l’hélice du sous-marin et du sang-froid pour ne pas se laisser inconsciemment suggestionner par les mille voix confuses de la mer.

Quelle transformation dans l’allure de la guerre navale ! Hier encore, la veille s’effectuait uniquement sur la passerelle ; les limoniers, respirant à pleins poumons l’air vif du large, scrutaient l’horizon avec leurs longues-vues bu leurs jumelles. Actuellement, c’est dans le silence du poste récepteur, l’oreille aux écoutes, que nos modernes guetteurs cherchent à surprendre la marche de l’ennemi. Si les yeux perçants des marins, en quête de la moindre fumée qui ternit le ciel, de la moindre voile blanche que nimbe le soleil, sont encore les meilleurs phares du capitaine, l’ouïe des signaleurs de la T. S. F. ou des microphones doit saisir les imperceptibles nuances des crépitements aériens ou des susurrements de l’onde. Guerre étrange où la surface de la mer lutte contre la profondeur insondable des océans !

Nous ne connaîtrons jamais les drames dont ils furent le théâtre. On ne se représente pas sans horreur le trépas de ces équipages de submersibles qui périssent sans témoins dans des circonstances atroces. Ils sont isolés et comme calfeutrés par l’opacité du milieu sous-marin où ils évoluent dans l’incertitude des heures lentes a s’écouler. S’ils se montrent à l’air libre, on fait feu sur eux. En plongée, ils se demandent à chaque