Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui est aussi la vérité, c’est que la population retenue derrière cette barrière frontale en a assez de cette guerre et que tout le monde aspire à la paix.

Mais, malheureusement, le mal c’est qu’aussitôt en France, les évacués jettent les hauts cris, font maintes campagnes absurdes et surtout fourbes, où le thème ne varie jamais : Pillages, assassinats, viols, famine, mais population résignée. Est-ce exact, cela ? Non, n’est-ce pas ? mais s’ils agissaient autrement, qu’adviendrait-il ?… Le massacre en serait la conséquence inévitable. Je sais bien que le mot massacre est gros de conséquences, et pourtant nous en avons eu suffisamment d’exemples pendant la mobilisation.


Ce ne sera pas l’un des moindres étonnements des historiens futurs que cette accusation formulée contre le gouvernement français menaçant de faire massacrer par des patriotes exaltés les évacués qui s’obstinent dans l’éloge de la domination allemande ! On voit qu’aucune calomnie n’arrête nos ennemis. Mais on peut conclure, de l’impudence du mensonge, à l’embarras et au trouble du menteur. Ces insultes aux évacués sont un involontaire et magnifique hommage rendu aux vrais Français enfin délivrés du joug allemand. Elles sont aussi la preuve irréfutable que l’abominable propagande de la Gazette des Ardennes n’a point abouti.

Nous avons recueilli, à ce sujet, des témoignages précieux, en 1915, dans la Marne, la Meuse et Meurthe-et-Moselle ; en 1917, dans la Somme et dans l’Oise. Les populations des régions alors libérées donnaient sur l’occupation allemande de tels détails qu’il est impossible de supposer qu’un pareil régime puisse être accepté un seul jour par un vrai Français. En novembre 1916, les réquisitions de bétail et de produits du sol se font impitoyables ; les vêtements et la nourriture manquent ; les déportations commencent, aboutissant au travail forcé. Ou encourage la délation : on offre aux femmes de leur donner en cadeau les toilettes et les fourrures dont elles indiqueraient les cachettes ; on recherche fiévreusement les valeurs, les souvenirs, les provisions de toutes sortes dissimulées avec plus ou moins de bonheur par leurs propriétaires. Et les fausses nouvelles pleuvent. On raconte aux populations que la paix est proche, et que l’Angleterre vaincue paiera l’indemnité de guerre ; l’Allemagne, se contentant d’Ostende et d’Anvers, aura même ce geste imprévu d’offrir à la France l’Alsace-Lorraine, en