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périmé. Il jette ses masses à fond pour rompre notre défensive et atteindre au moins Epernay.

C’est le moment décisif. Le commandement français voit sonner l’heure qu’il attend depuis trois mois : l’heure de la contre-offensive. Jusqu’alors, la marche foudroyante des événements ne lui a laissé qu’un souci : courir au canon. Il n’a pas pu trouver la liberté de ses mouvements. Tantôt dans l’expectative de l’offensive menaçante, tantôt dans la nécessité de boucher les brèches, il était comme un homme dont les deux bras sont liés.

Les coups de sonde des jours précédents lui ont révélé que des unités fantômes tiennent la ligne de l’Aisne à l’Ourcq. Ludendorff, malgré sa supériorité d’effectifs, a besoin de tout son monde pour l’attaque ; ailleurs il camoufle ses positions. Un cordon de troupes s’y déploie, tout juste suffisant pour la surveillance. N’est-ce pas ainsi, du reste, que les choses se passent depuis trois ans ? N’avons-nous pas vu les adversaires dégarnir le reste du front pour nourrir le secteur de la bataille ? Et puis Ludendorff suppose que nos réserves déjà minces ont dû fondre encore. Il connaît mal le principe d’économie qui nous dirige depuis un an, il ne voit pas que les Alliés, quoique placés dans une situation difficile, n’ont pas été pris au dépourvu. L’infériorité numérique des troupes qu’il a eues depuis le 21 mars en face de lui, il l’attribue à la faiblesse de nos moyens, alors qu’elle a été souvent le résultat d’un calcul. Nous avons toujours paré les coups au minimum ; lui, a toujours donné son effort au maximum. Le soldat français s’est héroïquement battu 1 contre 4 ; mais ce sacrifice n’aura pas été vain.

L’armée allemande, par le fait de ses victoires même, était sortie de la ligne redoutable de fortifications à l’abri de laquelle elle semblait intangible. Son nouveau front, fragile et sans profondeur, ne pouvait pas résister à une attaque bien appliquée. Tous les inconvénients de la guerre de siège subsistaient et s’aggravaient en pleine guerre de mouvement. C’est dire que la nécessité s’imposait d’immobiliser une énorme quantité de troupes pour remédier à la faiblesse du rempart défensif. En somme, l’Allemagne, prise à son propre piège, n’avait pas vu que la vulnérabilité de son front augmentait en raison directe de ses succès. D’autre part, l’organisation de son armée en vue de l’offensive l’avait conduite à une désorganisation de ses unités.