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doré du chœur, où se dresse la blanche statue. On sent que c’est une chose « catalane, » strictement, presque farouchement catalane, qui va s’accomplir, une chose sérieuse, profonde, qui n’intéresse, qui ne peut intéresser que les âmes catalanes. Chez les hommes mûrs surtout, l’émotion est visible : ce sont de durs vignerons de la plaine, des gens de chicane venus de Prades ou de Perpignan, des médecins habitués à manier sans tendresse les misères et les souffrances des corps. Tous chantent à pleine voix, avec fierté, avec allégresse. Les prunelles brillent étrangement. Quelques paupières sont humides. Ils savent que c’est le chant de la Terre et de la Race qui monte sous la voûte du vieux sanctuaire. A travers les ternes expressions de cette poésie populaire, ils retrouvent les aspects éternels de leur pays : « la montagne froide » de Font-Romeù et « la source glacée » qui court dans la prairie voisine :


En una freda montanya
Del terme de Odello,
En la terre de Cerdunya,
Als confins del Rossellô

En une froide montagne
Du territoire d’Odello,
Dans la terre de Cerdagne,
Aux confins du Roussillon…


Ces pauvres vers, qui ne disent rien à l’étranger, évoquent pour les imaginations catalanes toute cette région pyrénéenne, du Canigou au Carlit et à la Sierra de Cadi. Et cette terre adorée des ancêtres s’incarne bénignement en Celle qui, depuis tant de siècles, la protège, en cette « Maria de Font-Romeù » dont les « goïgs » répètent le nom avec une insistance amoureuse… Comme ils l’aiment, leur vieille Madone ! Ils lui donnent de petits noms mignards et affectueux. Ils l’appellent hermosa moreneta, « ma belle vierge brunette. » lis lui crient des mots de passion mystique : Ay ! amoreta mia ! « ah ! petite bien-aimée ! » Et, quand, en une litanie interminable, le refrain passe sur la foule :


Ohiunos, verge sagrada
Maria de Font-Romeù !
 
Ecoutez-nous, Vierge sacrée,
Marie de Font-Romeù !