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d’après les sources authentiques. Nous y serons aidé par le récit du petit-fils du maire de Strasbourg, M. Albert de Dietrich, par des notes de l’époque et des Archives[1].


Dans la journée du 24 avril 1792, eut lieu à Strasbourg une parade militaire sur la place d’armes, aujourd’hui place Kléber. C’est là que fut lue solennellement, par le maire lui-même, la déclaration de guerre à l’Autriche. Le chant populaire qui accompagnait cette manifestation patriotique était le Ça ira, petite chanson composée, à l’occasion des travaux du Champ de Mars, contre les aristocrates et qui n’avait vraiment rien de martial. Son allure plutôt frivole, — car elle affectait un air de contredanse, — choqua Dietrich qui, dans le souper où il réunissait les officiers prêts à entrer en campagne, pria l’un d’eux d’y substituer un véritable chant de guerre. Celui auquel il s’adressait, s’appelait Claude-Joseph-Rouget dit Rouget de Lisle. Il était d’instinct musicien et poète et employait ses loisirs à composer des Essais qui furent plus tard réunis en un volume. Fils d’un avocat de Lons-le-Saunier, l’aîné de huit enfants, il avait quitté l’Ecole du Génie militaire à Paris en 1784 pour entrer à Mézières à l’Ecole du Génie, d’où il était sorti lieutenant d’artillerie. En 1789, imbu des idées nouvelles, il avait composé un hymne à la liberté et semblait consacrer son talent à des productions lyriques et martiales.

Nommé capitaine le 8 avril 1791, il était venu à Strasbourg et, ayant été présenté au maire, il l’avait aussitôt conquis par son ardeur patriotique et ses aptitudes musicales.- Dietrich était, comme je l’ai dit, bon musicien, bon chanteur et même compositeur de morceaux agréables. Le lieutenant Masclet, camarade de Rouget de Lisle et adjoint aux adjudants généraux, certifie que Dietrich adressa, le soir du 24 avril, cette petite requête au capitaine, dont il estimait les talents : « Nous devons bientôt entrer en campagne. Il nous faut un chant de guerre pour animer et guider nos jeunes soldats. Le Corps municipal décernera un prix au meilleur chant… Parlez-en à vos amis. Je vais faire annoncer le concours dans les papiers publics. » D’autre part, M. de La Barre, rédacteur au

  1. La Création de la « Marseillaise. » Bibliothèque A. L. 1918, in-8.