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Formatrice des consciences, elle n’était pas moins polisseuse des esprits. Autant elle opposait les principes d’une société intacte à toutes les déformations contemporaines de la Renaissance, autant elle s’ouvrait hospitalière aux présents sains de la richesse antique. L’humanisme n’eut pas de foyer plus illustre, et il suffira de rappeler deux des hôtes qui, pour s’asseoir là, se refusèrent aux appels d’autres et célèbres écoles. C’est à Louvain qu’Erasme édifia le « collège des trois langues » à l’étude comparée du latin, du grec et de l’hébreu. Sur Louvain se reflétait la primauté acquise à l’homme le plus universel de cette époque, universel par la curiosité, la compréhension, la finesse, et qui, grand consulteur en toutes incertitudes, écrivait dans ses lettres les sentences du goût. C’est de Louvain que partit la docte jeunesse et à Louvain que retourna la maturité lasse de Juste Lipse. Tenu alors pour moins inégal à Erasme qu’il ne nous semble aujourd’hui, ce précurseur de la philologie s’imposa à tous par son érudition et par la fluide abondance d’un latin classique où les amis du beau langage reconnaissaient Cicéron. Erasme et Lipse accrurent Louvain par leur humanisme ; il les compléta par la philosophie. L’un et l’autre, trop épris de beauté, étaient en risque de ne pas distinguer plus entre ses charmes et ses pièges que ne se séparent le poison et le parfum des fleurs respirées pendant la nuit. Érasme avait la concupiscence de l’autonomie intellectuelle, au point que se délivrer du respect, de tout respect, était le mouvement premier et joyeux de sa pensée : à cause de cela il parut naturellement porté vers la Réforme, et soutint plus de controverses avec ses compagnons de Louvain qu’avec Luther.

Avec celui-ci, il se sentait quelque complicité de nature, autant qu’une puissance toute de goût peut s’accommoder avec une force toute d’instinct. A Adrien VI, qu’il avait connu et aimé à Louvain et qui lui demandait de voler contre l’hérétique au secours de Dieu, il s’excusait de n’avoir plus les ailes de la jeunesse. Entre le catholicisme trop faillible en ses membres et l’hérésie trop brutale en ses coups, sa neutralité lui donnait le plaisir de critiquer partout. Voilà dans un esprit bien des indices que le plus essentiel des changements est fait, faite la dispersion des esprits. Pourtant, même sur Érasme, la discipline de Louvain a opéré, et lorsque Luther passe de la critique à la révolte, Érasme en 1524 se prononce contre Luther, et entre