Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entrevoir se retirant sur la Meuse et sur la Moselle, afin de pouvoir dire que c’était sur la Meuse et sur la Moselle que nous essayions de le repousser ; qu’ainsi notre projet est déjoué ; et qu’ainsi, même lorsqu’elle n’est pas positivement victorieuse, lorsqu’elle ne l’est que négativement, l’Allemagne demeure toujours invincible. Par l’écart, qu’il souligne d’autant plus qu’il les crée, entre nos prétendues ambitions et ce que nous en avons pu réaliser, il se pique de déprimer l’opinion chez nous, de relever et de réconforter le moral de l’Empire. Mais, cette fois, pour ne parler que de ce qui se passe en Allemagne, d’après le peu qui en transpire au dehors, il a fort à faire.

Il a fallu que s’ouvrit la cinquième année de guerre avant que fût entamée ou écorchée seulement la carapace de crédulité et de vanité dans laquelle s’est séculairement enfermé le peuple allemand. On dirait néanmoins qu’elle est rayée : cette longue guerre, cette guerre terrible, a eu les ongles très durs. Assurément, l’Allemagne ne sait pas encore ; mais elle s’inquiète ; elle se doute, ou elle doute, elle soupçonne. Le bruit s’est répandu, par l’intermédiaire des neutres, qu’une grande effervescence y régnait, au moins dans certains milieux, et l’on citait des noms de villes. Il vaut mieux que nous n’en croyions rien. C’est déjà beaucoup que toute l’Allemagne n’ait plus une foi aveugle, et il paraît avéré qu’elle ne l’a plus. La carapace percée, le corps mou ne tarderait guère à s’affaisser. Dans la désillusion comme dans l’enthousiasme, cette « nation de gros engin, » restée, malgré sa science et sa discipline, telle que l’avait connue Froissart, donne des réactions brutales. Où en est-elle ? Il est difficile de le préciser ; mais il est facile de voir où ses dirigeants en sont envers elle. Ils en sont aux précautions oratoires ; à faire jouer devant elle un système compliqué de mensonges absolus et de demi-vérités dosées et travesties. Ministres, généraux, civils, militaires, en harangues et en interviews, chacun, sur le ton de sa fonction, dit son mot. Trois secrétaires d’État de l’Empire, qui seront probablement celui des Colonies, celui du Trésor, et le Vice-Chancelier lui-même, vont sous peu partir en tournée, afin « d’éclairer les populations sur les buts de guerre du gouvernement. » Une Allemagne où tout irait bien ne parlerait pas tant. Là encore, n’exagérons point, mais quel étrange son rendaient des propos récents de M. de Hintze, et d’autres, d’une inspiration analogue, où l’on ne rougissait pas d’offrir en modèle à l’Uebermensch la fermeté et la constance françaises ! Entrerions-nous, avant Iéna, dans l’ère des « Discours à la nation allemande ? »

Puisque l’orateur, aujourd’hui, est cet amiral de Hintze, à