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force réelle. Que sont les Tchèques par rapport aux Russes ? Qu’est-ce que cent mille hommes auprès de ces innombrables millions qui peuplent l’ancien empire des tsars ? Cependant, cette poignée de soldats a exercé une action à laquelle nulle n’est comparable depuis que s’est ouverte la crise révolutionnaire. Il suffit qu’elle apparaisse quelque part pour que les choses changent de face, pour que la puissance menteuse des bolcheviks s’écroule, pour que renaissent l’ordre, la sécurité, l’activité commerciale et industrielle, tout ce qu’on avait cru perdu. Bel exemple, vraiment, de ce que peut la volonté humaine ! Quelques individus, sûrs d’eux-mêmes et décidés à ne pas reculer, sont plus puissants que des millions d’êtres atones et amorphes. Cela est vrai, croyons-nous, à toute époque et en tout pays, mais combien plus dans la Russie actuelle ! Au sein de cette masse diffuse, pour peu qu’un noyau solide se constitue en quelque endroit, il attire autour de lui tous les atomes qui flottaient, lamentables vagabonds, au gré de courants incertains. Il y a là un phénomène de psychologie sociale très instructif pour l’observateur, et aussi, pour nos hommes d’État, une indication très précieuse. En voyant l’influence que peuvent exercer sur la Russie en déliquescence des groupes restreints, mais actifs, ceux qui dirigent l’Entente doivent prendre tout ensemble une leçon de confiance et une leçon de prudence : de confiance, car l’exemple des Tchèques montre que les convulsions de la société russe ne sont pas celles d’une agonie irrémédiable, qu’on peut la ressusciter, et qu’il faut même assez peu de monde pour cette besogne ; — de prudence, car ce que les Tchèques ont fait pour commencer le salut de la Russie, d’autres pourraient le faire pour consommer sa perte ou son asservissement. Cette masse énorme et indécise peut être précipitée dans un sens ou dans l’autre par la plus légère impulsion : à nous de veiller à ce que la chiquenaude soit donnée du bon côté.

Nous voici arrivés au problème le plus pressant que pose devant nous la récente histoire des Tchéco-Slovaques. Leur lutte contre les bolcheviks apparaît, qu’ils l’aient voulu ou non, comme la préface de l’intervention des Alliés en Russie, — intervention collective, cela va sans dire, désintéressée de toute ambition territoriale, motivée exclusivement par la nécessité de ne pas laisser un si grand peuple servir plus longtemps