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portraits. Le propriétaire se plaint ; on fait une enquête ; et un haut, fonctionnaire allemand excuse les hommes en écrivant : « Les soldats se croyaient en France et croyaient que la maison appartenait à un général français. »

Dans la région de S…-M… les fermes sont incendiées ; on peit voir longtemps dans les étables le bétail carbonisé, encore attaché à ses chaînes. Des fermiers sont attachés à des arbres et fusillés, leurs filles de quinze à seize ans « tuées par un officier qui leur traverse la poitrine de son sabre. » — A B… lors de l’occupation française, un vieillard a porté un pli pour un officier. Quand les Allemands reviennent, un de leurs compatriotes le dénonce ; ils l’arrêtent, le forcent à creuser une fosse, à s’y étendre et l’y fusillent couché, à bout portant. A W… raconte un correspondant du Journal des Débats, « les Français, en passant, avaient acheté, — et payé, — les vins que contenaient les magasins. Les Allemands, à leur retour, ne trouvant aucune provision, ordonnent qu’on leur livre tous les vivres que peuvent encore receler les maisons particulières, sous peine d’incendier le village entier. Les livraisons faites, ils perquisitionnent, et ayant trouvé quatre œufs qu’un pauvre vieux avait réservés pour sa faim, ils le fusillent séance tenante. »

Ces faits n’ont servi qu’à rendre plus âpre la haine des paysans d’Alsace pour leurs bourreaux. Par prudence, ils ont caché leurs sentiments tant qu’ils ont pu, mais à certains moments ils se sont trahis malgré tout et les Conseils de guerre ne les ont pas ménagés.

Le 23 septembre 1913, le vigneron Jean-Baptiste Staub, d’Ammerschwihr, chante une chanson française dans la rue et s’en prend aux « voyous de Berlin » qui ont déchaîné la guerre[1]. Il est traduit devant le Conseil de guerre de Colmar ; on lui inflige trois mois de prison. — Victor Seichepine, au printemps de 1916,, avec un autre habitant de Château-Salins, travaille dans les vignes situées derrière l’École d’agriculture de la petite ville. Des avions français paraissent, lancent des bombes, dont l’une vient tomber non loin des vignerons… Des Allemands, ayant aperçu les deux hommes des fenêtres de

  1. « A crié : « Ce ne sont pas les Français qui sont cause de la guerre, mais les Wackes de Berlin. » Conseil de guerre extraordinaire de Colmar du 3 novembre 1915.