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présente en culotte courte, en bas de soie blancs, l’épée au côté, aussi pimpant que s’il sortait de la plus confortable chaise de poste. Il traverse à pied l’Angleterre, puis l’Ecosse, s’arrête à Edimbourg où il prend le loisir d’écrire le récit de ce premier voyage : il cède, moyennant une bonne somme, le manuscrit à un éditeur, traite avec celui-ci pour de prochains volumes qu’il se propose d’écrire, el, bien muni d’argent et de lettres de crédit, repart, passe en Suède, traverse la Dalécarlie, arrive en Laponie ; toujours à pied, avec ses bas de soie en poche et sa houppe à poudre dans un gant de femme ! Il grelotte bien parfois, mais, du moins, il n’entend plus parler de politique : c’est à peine si, tous les six mois, il lit une gazette… Il apprend ainsi, après huit ans de voyages, qu’un certain Bonaparte a enfin mis le holà et que l’Europe est pacifiée. Aussitôt La Tocnaye fait demi-tour et poursuit sa marche, non plus vers le Nord, mais vers sa Bretagne où il parvint après deux ans de route, retrouva intacte sa maison et ne la quitta plus[1].

Sans avoir, bien probablement, entendu parler de cet original, les peintres et les écrivains, dans le bouillonnement du romantisme, limitèrent : ces novateurs « découvraient la France » » avec ravissement, sac au dos, bâton à la main. Les églises gothiques et les vieilles maisons à façades de bois ou d’ardoises connurent d’étonnantes revanches. En retour, les trois derniers styles de la monarchie tombaient dans le suprême mépris : toute pierre qui ne datait pas, pour le moins, du temps de Henri IV, était déclarée moellon informe : le « rococo » exaspérait les artistes singulièrement chevelus qui ne parlaient que barbacanes, échauguettes, beffrois et gargouilles : Versailles était considéré comme un « jardin de curé » et la délicieuse place de Nancy couramment traitée de « chicorée. » Cela nous valut quelques récits charmants : les Impressions de Voyage d’Alexandre Dumas, que publiait la Revue des Deux Mondes[2], procuraient des frétillements aux, plus sédentaires et les invitaient à la prétentaine. Victor Hugo parcourait la France, en carriole et à pied, passait en Belgique, gagnait Cologne et publiait le B/tin : « Il fut ; sans doute, écrivait récemment un

  1. Le chevalier de la Tocnaye, et ses promenades dans l’Europe du Nord, par M. Baldensperger. Bibliothèque Universelle ou Revue Suisse, mai 1914.
  2. Voir dans la Revue, du 15 février 1833 au 1er avril 1836, les articles d’Alexandre Dumas sur Jacques Balmat, la Mer de Glace, le pont du Diable, Gabriel Payot, etc.