Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont le dernier de ses soucis et il cherche à jouir, en dépensant le moins possible, des amusements de Paris ; il n’est qu’un ouvrier, mais il fréquente la bourgeoisie et se frotte volontiers à la noblesse ; au résumé, le type du Français de ce temps-là, ami des plaisirs, tenant sa place partout où il va, sans servilité et avec aplomb, sachant sa valeur et se l’exagérant un peu, content de son sort, satisfait de soi-même, enthousiaste des « idées nouvelles » et très respectueux de la tradition.

Ce qui est pour nous difficile à comprendre et nous montre que nous possédons une connaissance fort inexacte et très incomplète de ce qu’était alors la vie parisienne, c’est de voir cet Avignonnais se démener si bien, une fois sur le pavé de Paris, relancer ses compatriotes, s’insinuer de si habile façon que le voilà, au bout de quelques jours, soupant avec des actrices, se prélassant dans la loge de M. de Marbeuf aux Italiens, régalant d’une matelote, — à six livres par tête, — aux Champs-Elysées, dix-neuf amis et amies parmi lesquelles nombre de danseuses, dînant chez le beau-père de M. de Choiseul-Gouffier « avec lequel il fait trois poules au billard, » et promettant dans la banlieue, en fiacre, Mlles Manette et Solange qui chantent dans les petits théâtres. Au lendemain de ces réjouissances intimes, il fait réparer son chapeau « pour ôter la tache d’huile, » opération qui lui coûte 1 livre 4 sols, ou charge un tailleur de « remettre un derrière à son gilet, des manches et des boutons à son habit, — ci : 28 l. 16 sols. » Quand il est seul, il dine d’un pot de vin, — 15 s. — et de 3 sols de pain ; à moins qu’il ne se régale à huis clos. Notons ce singulier repas qu’il prend « dans son appartement » : « Pain, 7 s. vin, 15 s. tourte à la confiture, 1 1. 4 s. bœuf à la braise, 10 s. une bouteille d’huile chimique… » Il veut tout voir, les théâtres, les bals parés, — il achète un domino ! — les faiseurs de tours, l’Assemblée nationale, les grands cafés, les boutiques, la Cour et la Révolution ; il se rembarque enfin dans la guimbarde, ayant au chapeau une belle cocarde tricolore payée 1 1. 4 sols, et aux pieds des cors douloureux pour le traitement desquels il se procure, moyennant 12 sols, « une feuille de papier de Hollande. » Après cinq mois d’absence, dont quatre de séjour à Paris, il rentrait chez lui ayant dépensé, au total, pour sa nourriture, son logement, ses plaisirs, ses