Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pousser jusqu’à Versailles, dans l’espoir de croiser sur la grande route le cortège royal : ils arrivent au château sans l’avoir rencontré, et apprennent là que Sa Majesté n’est pas encore sortie de ses appartements. Plus d’affaires, les Bretons se font descendre à la grille et, gagnant du terrain parmi les gardes françaises et les Gent-Suisses alignés dans la cour, ils se faufilent jusqu’au carrosse « dont, » note dans sa dévotion admirative M. de Rouaud, « le détail est inutile à rapporter quand on sait que c’est celui du Roi. » L’attente des provinciaux ne fut pas déçue : avec une émotion dont l’expression nous touche par son ingénuité, le narrateur ajoute : « Nous eûmes la satisfaction de voir le monarque monter en voiture. » Et seulement alors les Guérandais regagnent la leur et poursuivent leur chemin.

Ils reviendront à Versailles au cours de leur séjour, et consacreront à la visite du château et du parc deux journées : un Suisse les conduit dans tous les appartements ; mais ce ne sont peint ces splendeurs qui les attirent, car ils ne leur accordent pas une ligne : ce qui les retient et les émeut, c’est de voir passer, à midi, le Roi se rendant à la messe. « Il était accompagné de Monsieur, de ses aumôniers et de différents seigneurs… Il causait familièrement avec M. de Coigny. » Les voilà suivant le cortège, entrant dans la chapelle et prenant place dans une galerie « d’où ils peuvent jouir pendant tout l’office de la vue de Sa Majesté. » Ils reviennent à la galerie pour revoir le bon Roi lorsqu’il rentrera chez lui ; ils y restent, afin d’apercevoir Madame, Mme la comtesse d’Artois et Mme Adélaïde gagnant, à leur tour, la chapelle ; puis, à une heure et demie, ils assistent au dîner du Roi et de la Reine, remarquant que Louis XVI « a faiblement mangé, » Marie-Antoinette « point du tout ; » mais ils ne s’en inquiètent pas, sachant que « la famille, » après le repas d’étiquette en public, se retire chez Madame pour y dîner sérieusement. « La famille… » ce terme vient naturellement sous la plume du gentilhomme breton : il sent manifestement qu’une sorte de parenté morale l’unit à ses princes et qu’il n’est pas un étranger chez eux. La visite des jardins le réclame, mais sa curiosité de ces merveilles fameuses est moindre que son intérêt pour « la famille. » Il veut la connaître tout entière ; il rentre dans la galerie où on lui montre M. le duc de Chartres avec quantité d’autres seigneurs, cordons