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une douceur et une modestie auxquelles le militarisme prussien ne nous avait pas accoutumés : « Nous souhaitons tous la paix, murmure une voix assourdie dans le visage effroyable ; mais ce doit être une paix pleine d’honneur, et elle le sera, j’en suis convaincu. » Ehrenvoll, pleine d’honneur, mais l’honneur s’entend, à l’allemande, avec le profit, et là-dessus, en Allemagne même, la certitude faiblit.

A l’extérieur, chez les alliés ou les vassaux et chez les neutres, le prestige de l’Empire, qui reposait exclusivement sur sa légende d’invincibilité, s’il n’est pas encore gravement atteint, n’est plus tout à fait intact. En Autriche, où le nouveau ministre Hussarek, succédant à M. de Seidler, n’a obtenu que péniblement 15 voix de majorité, la défaite du Kronprinz allemand sur la Marne peut avoir des répercussions hier insoupçonnées. On devine, à de certaines réticences comme a de certaines allusions, que la fierté ou la morgue autrichienne blessée fait silencieusement la comparaison de la Marne et de la Piave. Ceux à qui, après la Piave, on avait voulu envoyer Otto von Below, se tiennent à quatre pour ne pas, — politesse contre politesse, — offrir, après la Marne, Boroevic ou Conrad de Holtzendorff. La Hongrie, moins stylée et plus brutale, n’y met aucun ménagement, et la presse allemande s’en plaint : « Sur ce fait, il n’y a pas de doute et rien ne sert de le cacher, gémit la München-Augsburger Abendzeitung, à côté de la politique hongroise officielle qui désire une alliance étroite avec nous et qui le prouve dans la lutte commune, sur le champ de bataille, il se manifeste depuis plus d’un an en Hongrie une excitation mauvaise contre l’Allemagne. » Non point de la part du premier venu, ni dans les carrefours ou dans les clubs, mais en pleine Chambre des députés, de la part d’hommes considérables, comme le comte Théodore Batthianyi, de tout un parti, comme le groupe du comte Michel Karolyi. Un orateur ne s’est pas gêné pour prétendre que « le soldat allemand ne respecte la propriété privée que chez lui ; qu’à l’étranger, il s’affranchit aisément de ses scrupules; et que, par exemple, lorsqu’il vint au secours de la Transylvanie, il ne put s’empêcher d’expédier à sa famille toute espèce d’objets pillés dans des maisons particulières. » C’est l’aveu que l’Allemagne aurait révélé, à ses amis mêmes, un des aspects de sa figure qui n’est pas des plus sympathiques. D’autre part, on a dit et l’on s’est trop hâté de dire, que la Turquie allait rompre avec l’Allemagne, et conclure une paix séparée. Elle n’en est pas là, non plus que la Bulgarie, et plutôt elles rompraient d’abord l’une avec l’autre. Mais toutes deux, chacune