Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manquée, Ludendorff ne permet pas à Hindenburg de n’être point solidaire et, à un degré plus haut, responsable de son échec devant l’Empire et devant l’Empereur, surtout devant l’Empereur.

Dans le dernier discours qu’il leur tint face à face, le 15 juin, au Quartier général, en fêtant avec eux, à table, le trentième anniversaire de son avènement, (c’est le discours dit : des deux conceptions opposées du monde), Guillaume 11, quoiqu’il n’eût à répondre qu’à Hindenburg, laissait percer le souci manifeste de les mettre tous les deux, Hindenburg et Ludendorff, sur le même pied et sur le même plan ; ce qui, l’un étant le subordonné de l’autre, était témoigner plus de tendresse pour l’un que pour l’autre. Gauchement, lourdement, l’Empereur appuyait, redoublait : « En la personne de Votre Excellence et du général [Ludendorff], le Ciel a donné à l’Empire allemand, à l’armée allemande et à notre grand Etat-major, les hommes qualifiés pour conduire, en cette grande époque, le peuple allemand en armes... Aussi je remercie le Ciel d’avoir mis comme conseillers à mes côtés Votre Excellence et vous aussi, mon cher général. » Comme conclusion : « Ai-je besoin de vous dire que le peuple allemand et l’armée allemande, — à présent le peuple et l’armée ne font qu’un, — lèvent vers vous un regard plein de reconnaissance? Sur le front, tous les soldats savent pour quoi ils se battent; l’ennemi le reconnaît lui-même. Par conséquent (la conséquence ne parait pas inévitable), c’est nous qui remporterons la victoire! La victoire de la conception allemande du monde! Car c’est de cela qu’il s’agit. »

Ces paroles coulaient des lèvres impériales et pieusement étaient bues par les militaires courtisans, voilà six semaines, le 15 juin, après l’offensive ratée sur Compiègne, avant l’offensive ratée sur Châlons. Depuis lors, l’Empereur, naturellement, a continué de célébrer les anniversaires que lui indiquait son calendrier, ne fût-ce que celui, qui lui appartient à juste titre, de la déclaration de guerre. En ce jour, voué, chez tout ce qui a un cœur d’homme, à l’universelle et éternelle exécration, il ne s’est pas fait faute d’adresser à son peuple, comme à son armée et à sa marine, des proclamations jumelles. Auprès de la harangue du 15 juin, ce n’est plus, à six semaines de distance, qu’une littérature insipide. On en a relevé ailleurs l’hypocrisie, les faussetés, tes contradictions ; mais, à les signaler, on fait un travail inutile, au moins à l’égard du peuple allemand. Au peuple allemand l’Empereur allemand peut dire tout ce qu’il veut : il a affaire à un auditoire d’une crédulité sans limites, crédulité qui, sans rechercher