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Là est précisément l’importance de l’artillerie lourde et sa fonction que nulle autre ne peut remplir : battre les positions et les voies de communication lointaines de l’ennemi, contre-battre ses pièces (et on sait quelle importance a prise la contre-batterie, déjà si remarquable à Verdun sous Nivelle, depuis l’emploi des obus toxiques). Ces besognes essentielles, indispensables, un canon d’infanterie ne les peut assumer, et c’est pourquoi en faire l’instrument unique, l’instrument « Maître Jacques » de la victoire, a été, de la part de ses plus fanatiques partisans, une erreur de conception ou de tactique que je déplore pour ma part. « Qui veut trop prouver ne prouve rien » est un proverbe inexact comme tous les proverbes, mais dont il faut éviter sagement que des adversaires ne puissent vous faire l’application simpliste.

Ce canon d’infanterie, tel que nous l’avons étudié jusqu’ici, n’a qu’un rôle, en quelque sorte fixe, de destructeur de tranchées, et nous n’avons pas encore vu intervenir sa fonction d’accompagnement. Cette fonction est essentielle.

Initialement, le canon d’infanterie devait avoir pour but, par la rapidité de transport, de mise en batterie et de tir, de détruire au fur et à mesure qu’on avancerait les lignes de tranchées successives, ce que ne pourrait faire l’artillerie ordinaire à cause de son éloignement qui risquait de lui faire atteindre les troupes amies, à cause aussi de la distance ou de la précarité des liaisons.

Mais, à la suite de la dure expérience faite par eux lors de la bataille de la Somme, qui, si j’ose dire, fut le type de la bataille de pilonnage, les Allemands substituèrent au système des tranchées linéaires successives, et dont la puissance défensive allait crescendo vers l’avant, le système de la fortification en profondeur et en surface. Dans ce nouveau dispositif la tranchée était remplacée par une série de simples trous, empêchant la concentration du tir ennemi et dis posés de manière que la résistance croisse du front ennemi jusqu’à un certain maximum plus en arrière, afin que l’attaque pénètre en s’amortissant comme dans un obstacle mou. C’est la méthode encore employée dans ses grandes lignes de part et d’autre aujourd’hui ; elle a vu se multiplier les « centres de résistance » que l’attaquant rencontre à l’improviste et qui le désorganisent ; contre eux l’artillerie ordinaire est impuissante, à cause de l’impossibilité pour elle de régler ; et la nécessité d’une artillerie accompagnant l’infanterie et servie par elle en a été encore augmentée.

Le canon préconisé par Archer, d’autres imaginés depuis, plus ou