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jolies photogravures, sont envoyées gratuitement aux personnes, généralement assez modestes, qu’on croit avoir intérêt à atteindre et à ébranler. Ce ne sont pas des chefs-d’œuvre, assurément. Mais, sous leur forme, d’ordinaire assez modérée, avec l’appareil documentaire ou « scientifique » qu’elles déploient, elles ne manquent pas d’habileté, et, à la longue, on conçoit qu’elles puissent agir sur des esprits sans défense ou sans critique.


Un des thèmes que les auteurs de ces brochures développent avec le plus de complaisance, ce sont les soi-disant « atrocités » commises, non point par les Allemands, mais… par les divers peuples de l’Entente[1]. Cette préoccupation se comprend sans peine. Les neutres ont été, de bonne heure, très vivement émus par les témoignages qui leur parvenaient sur les innombrables crimes allemands de Belgique et de France, par les rapports des commissions d’enquête belges et françaises, par diverses publications, entre lesquelles il convient surtout de citer l’article, qu’on a lu ici même, de M. Pierre Nothomb sur le Martyre de la Belgique, et la brochure, irréfutable, de M. Joseph Bédier, sur les Crimes allemands d’après des témoignages allemands[2]. Il s’agissait de détruire, ou tout au moins d’atténuer ces fâcheuses impressions, d’opposer témoignage à témoignage, et de répandre l’opinion que les faits allégués étaient faux, ou inexacts, ou singulièrement exagérés, et qu’en tout cas ils ne dépassaient pas la moyenne des « atrocités » commises par toutes les armées belligérantes. Il fallait dénoncer la « hâte » et la « superficialité » avec lesquelles « souvent on a établi de nombreux rapports de commissions ou autres, de soi-disant recueils de preuves, destinés à exploiter les horribles et tragiques événements de cette catastrophe mondiale au profit de certaines

  1. Les exactions des Anglais et des Français dans les colonies, par le Dr E. Bischoff, avec une introduction de M. le professeur Dr A. Forel, Zurich, Orell Fussli, 1918 ; — Le Droit et la Guerre, par Anacharsis le Jeune, Monaco, Imprimeries artistiques réunies.
  2. Depuis la publication de la brochure de M. Bédier (Armand Colin, 1915), les instructions les plus sévères ont été données aux soldats allemands en ce qui concerne la rédaction de leurs carnets de route : les aveux compromettants y sont devenus infiniment plus rares. On a essayé, sans succès, de répondre à M. Bédier : Cf. Le professeur Bédier et les carnets de soldats allemands, par le professeur Charles Larsen (5e mille [ ? ], Ferd. Wyss, Berne, 1917).