Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extérieur. » A les voir, Mlle de Saint-Ange fait « un souris de compassion » et, haussant les épaules, dit : « Que de faiblesse ! » Mlle de La Tremblaye lui reproche d’être « toujours en colère contre l’amour : » en a-t-elle reçu d’amers déplaisirs ? Mlle de Saint-Ange avoue que l’amour a été son vainqueur impitoyable. C’est un aveu gênant pour son amie : et celle-ci, tout en poussant avec entrain la défense de l’amour, le blâmera d’avoir été cruel à Saint-Ange, si jolie, parfaite et digne d’être heureuse. Les jeunes filles aperçoivent quelques personnes de leurs relations, qui les vont aborder : elles ajournent au lendemain la suite de leur courtoise querelle et, afin de n’être pas interrompues à nouveau, décident de se retrouver à une heure plus favorable, dans une allée moins fréquentée, où en effet il n’y a que de jeunes abbés qui se promènent, un livre à la main.

Et alors elles instituent le procès de l’amour. Qu’est-ce que l’amour ? « Le centre du cœur et la sphère de l’esprit… » Voilà de la métaphysique : et l’on s’y perd. Mlle de Saint-Ange revient à quelque réalité : l’amour est « la vie de l’esprit et du cœur. » Mais, si l’amour est la vie de l’esprit et du cœur, en supprimant l’amour, vous nous tuez ! répond Mlle de La Tremblaye : « il faut donc renoncer à la vie ? » Mlle de Saint-Ange : « Non ; l’indifférence n’a jamais tué personne ! » Elle a quelquefois de ces réflexions qui révèlent une mélancolie à laquelle succombe la gaieté de Mlle de La Tremblaye ; Mlle de La Tremblaye n’a plus de zèle à riposter : elle « rêve au lieu de répondre. » Ah ! si l’amour était ce qu’il doit être : « éclairé, doux, constant et heureux ! » Il est tout le contraire : « le monstre de la nature, la perte du genre humain, le perturbateur du repos public ! » Pour que l’amour ne soit pas nos délices, il y a nos cœurs, si frivoles que leurs alarmes ne sont rien, ni rien nos résolutions ; et l’on ne saurait promettre d’aimer. Ni promettre de ne pas aimer, à cause de notre « inconstance naturelle, » qui peut nous donner à l’amour et nous interdit d’être à lui longtemps… « Pourtant, je sais des gens qui ont aimé toute leur vie, reprit Mlle de La Tremblaye. — Leur vie n’a donc pas été longue ! répondit froidement Mlle de Saint-Ange. » Elle n’appelle pas amour les langueurs de la tendresse finissante : on n’a pas vu de gens s’aimer « violemment et longtemps ; » et, l’amour sans violence, elle le dédaigne… Mlle de La Tremblaye