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que Mlle de La Vergne indique. Ce petit roman, Le Triomphe de l’indifférence, n’a jamais été publié ; le manuscrit en est gardé à la bibliothèque Sainte-Geneviève[1]. L’auteur est inconnu. Mais ce dut être une jeune fille : elle parle d’elle au féminin d’abord ; et puis elle a corrigé, dans les phrases où l’on s’adresse à elle, « mademoiselle » en « monsieur. » Elle est du monde et elle en a deviné ce qu’elle n’en a pas vu : ses naïvetés ne l’empêchent pas d’être au courant de bien des choses. Elle a aussi de la littérature, cite les auteurs anciens et les modernes, cite l’histoire et la fable, confond l’une et l’autre. Elle a même de la philosophie et, quand elle épilogue sur les déclins de l’amour satisfait, dit que « la privation irrite le désir et la possession le fait mourir. » Elle ne l’a pas inventé : elle doit aux livres cette information. Elle est fine et ingénieuse, habile à transformer en théories les petits faits qu’elle a notés, les impressions qu’elle a reçues. Mais elle a une vivacité qui l’empêche de suivre posément sa dialectique ; elle cède à l’idée qui la tente, et elle est en état de perpétuelle digression. Cependant, elle ne renonce point au plaisir ou à l’enfantine manie d’argumenter ; et il lui faut de l’effort et du temps pour rattraper le fil de son raisonnement, qui sans cesse lui échappe et qu’elle a tort de ne point abandonner. Il en résulte des lenteurs qui vont, pour le lecteur, à quelque ennui ; et les phrases sont un peu embrouillées. Le roman serait délicieux, s’il consentait à n’être que sentimental. Encore est-il assez charmant et précieux, pour nous montrer des jeunes filles de ce temps-là, et peintes par l’une d’elles.

Deux jeunes filles, sans compter l’auteur. L’une, Mlle de La Tremblaye, est enjouée ; elle a confiance dans la vie : elle attend l’amour. L’autre, Mlle de Saint-Ange, un amour l’a blessée : elle se venge à dénigrer l’amour. Elles ont une « conversation ; » le hasard l’a suscitée ; mais elles l’ont organisée, comme font, dans Platon, les interlocuteurs des dialogues socratiques. Il s’agit de décider qui vaut le mieux, l’amour ou l’indifférence. Le roman n’est que ce débat. Elles se promènent au jardin des Tuileries, qui est « le rendez-vous ordinaire des amants. » Elles rencontrent des amants « de toute espèce, de contents et de désespérés, au moins qui paraissent tels à leur

  1. Ms. 3213.