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l’année qu’elle a cru que sa beauté avait disparu pour jamais ; et elle ensevelit Mme de Lesdiguières, avec coquetterie et mélancolie, comme elle eût brisé son miroir.

Pour assez agréable que fût à Nantes la prison du Cardinal, c’était encore la prison. Le Cardinal s’y plut quelque temps, puis rêva de s’en évader. Une nouvelle aussi le décidait à l’impatience : le Pape refusait la démission de l’archevêque de Paris. Retz eut bientôt pris son parti de filer : le maréchal de La Meilleraye s’en aperçut peut-être, car il montra de la précaution, de la sévérité. Quant à Sévigné, dans culte affaire, il souffre. Il a visiblement perdu sa foi politique. Vers la fin du printemps, il demande la permission de retourner à Paris ; Mme d’Aiguillon s’est chargée de sa prière : on ne veut pas de lui dans Paris. Il restera donc à Champiré ; quelques voyages à Angers ou à Nantes sont tout son divertissement ; et les voyages à Nantes, son tourment. Le 8 août, le Cardinal s’est évadé. Il a pour compagnons, ou complices, les ducs de Retz et de Brissac et le chevalier de Sévigné. Retz a conté son évasion, dans ses Mémoires, d’une merveilleuse façon. Mais, Sévigné, qu’il est à plaindre ! Il n’a, dans cette aventure, ni l’amusement, qui est le tout de Retz, ni l’espèce de gloire que donne la réussite : il a le risque, et voilà tout. Le zèle du partisan n’est plus ce qui l’excite : ce qui le lance, ou peu s’en faut, à la rébellion, c’est l’honneur. Sa lente déception l’a privé de son enthousiasme, non de sa fidélité. Quelques jours après la « sortie » du Cardinal, Mme de Sévigné, demeurée seule avec sa fille à Champiré, écrit à Madame Royale. Premièrement, elle justifie l’évasion sur le fait que la cour n’observait plus les conventions passées avec le prisonnier, mais le « resserrait. » Le Cardinal est à Belle-Isle, après avoir échappé à quinze vaisseaux corsaires qui le guettaient, et à trente gardes qui n’étaient qu’à une lieue de l’endroit où il s’arrêta un jour, s’étant fort blessé à l’épaule, par une chute de cheval. Maintenant, il va bien. Il a écrit de Belle-Isle au roi en termes déférents… « M. de Sévigné est avec lui à Belle-Isle et ne l’a point abandonné depuis sa sortie. » C’est tout ce qu’elle dit de son époux : elle lui laisse la place, où d’ailleurs il se mettait, d’un bon serviteur, prompt au sacrifice et parfaitement sûr de son abnégation.

Néanmoins, son rôle n’est pas l’obéissance passive : il s’est montré ce qu’il était. Nous le saurons par une lettre de sa