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accablée de mon mal de côté. Il ne me quitte plus et, si vous m’aimiez autant que vous m’avez aimée, vous auriez sujet de craindre de me perdre bientôt… » L’aime-t-il moins ? Mais non ; seulement, ils ont dès cette époque ces querelles amicales qui ensuite les occuperont sans cesse. M. Ménage eut grand chagrin de la maladie de Mlle de La Vergne : et, s’il a fait de sa douleur un poème assez fade, c’est qu’il n’était pas un assez grand poète pour être un poète ingénu.


A Champiré, les exilés subissaient, et parfois grièvement, les tribulations du parti. Sévigné n’était pas gai tous les jours. Les nouvelles qu’il recevait de Paris n’étaient pas pour adoucir ses alarmes. Retz toujours en prison : l’on ne savait ni quand il aurait sa liberté, ni ce qu’il en ferait. Ce fut au point que son fidèle arrivait à n’être pas sûr de souhaiter qu’il fût libre. Des bruits couraient : on prétendait que la prison devenait si fastidieuse au cardinal-coadjuteur qu’il songeait à se démettre de sa coadjutorerie, pour sortir de prison. Le 21 février 1654, Sévigné mande à Madame Royale ce bruit qui l’ « afflige très fort » et qu’il n’a pas l’entrain de démentir : « Autrefois, j’eusse juré qu’il n’eût pas été capable de le faire. Mais, comme les grands seigneurs ne se piquent pas de la probité ni de la générosité dont les simples gentilshommes font profession, j’ai grand’peur qu’il ne préfère sa liberté à son honneur. » Cela lui coûte à dire ; il le dit pourtant : c’est le chagrin qui lui arrache ses illusions.

Le 21 mars, l’archevêque de Paris mourut. Ménage en avertit Mlle de La Vergne, qui répond : « J’ai bien envie de voir quel effet produira [cette mort] dans les affaires de M. le cardinal de Retz. » Du fait de cette mort, le coadjuteur devenait archevêque. Mais il est en prison comme personnage dangereux : si, coadjuteur, il paraissait dangereux, archevêque, il l’est plus encore. Que faut-il espérer ? Le chevalier de Sévigné endure, dans le doute, une cruelle angoisse. Et il atteint à une véritable grandeur de souffrance, lorsque ses appréhensions de partisan se dégagent des circonstances mesquines et vont bien au-delà ; ce n’est plus pour la fortune du cardinal et pour la sienne qu’il frémit : son patriotisme saigne. Il écrit, avec une farouche révolte d’orgueil blessé : « Lorsque je suis venu au monde, l’on