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travail fructueux par spécialités restreintes. Il est, à cet égard comme à bien d’autres, très désavantagé par rapport à ses voisins. Une spécialité où les commandes procèdent par à-coups, comme les rails, est forcée de s’annexer d’autres fabrications connexes qui lui permettent d’occuper son matériel et ses ouvriers pendant les mortes-saisons. En outre, toutes les spécialités sont loin d’assurer des bénéfices équivalents ; de manière que, si on prétendait les répartir avec rigueur, les industriels se disputeraient les plus avantageuses. A cet égard, le régime des comptoirs peut être un correctif très utile. Une autre influence vient lutter contre la spécialisation : c’est la tendance naturelle à étendre son champ d’action et à employer la force acquise ou les réserves de capitaux à la conquête de nouveaux marchés. Il y a là une loi d’entraînement qui aboutit à développer des sortes de monstres hypertrophiés dont la puissance financière masque parfois les défectuosités presque fatales de gestion économique. Ce cas est particulièrement fréquent en France par suite de l’usage très ancien qui y fait considérer l’actionnaire comme un faible d’esprit, auquel on ne distribue qu’une fraction infime de ses bénéfices par crainte qu’il ne les gaspille ; et les progrès excessifs de la fiscalité ne pourront qu’accentuer cette tendance à greffer indéfiniment sur une affaire ancienne une série d’affaires nouvelles afin de disséminer de trop gros capitaux.

Je reprends le cas des usines à fer pour préciser ce que pourrait être la spécialisation. Une usine métallurgique réaliserait un prix de revient minimum si elle pouvait, d’un bout de l’année à l’autre, couler un seul type de lingot et laminer un seul profil sur un unique train de laminoir. Sans aller jusque-là, une petite usine peut ne fabriquer que des aciers marchands ronds, carrés et plats si elle possède un seul train de laminoirs, ou, si elle en a trois, spécialiser chacun d’eux, l’un pour les pièces de béton armé, le second pour certains profilés, le troisième pour les aciers marchands.

Cette spécialisation sera particulièrement indispensable pour les usines à ressusciter dans les pays envahis, afin de les mettre en mesure de répondre plus rapidement à des commandes qu’elles devront s’être distribuées par catégories. Mais, indépendamment de ce cas, elle permet de constituer un outillage à gros rendement et, par suite, économique.