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des phrases en périodes. Et il se plaint : « Nous autres provinciaux… » Puis : « Etant réduit à passer ma vie à quatre journées de votre charmante personne… » Il compte loin du Maine à l’Anjou : c’est qu’il est goutteux, douillet et casanier. Réduit à languir au Mans, il promet de n’abuser point des avances de Mlle de La Vergne et de répondre à ses compatissantes hardiesses par une obéissance, une réserve, une discrétion qui lui coûtent.

Au printemps de l’année 1653, il risqua le voyage d’Anjou et vit Mlle de La Vergne. Il en fut charmé : « si belle, si spirituelle, si raisonnable… » Si raisonnable, c’est-à-dire qu’elle prenait sagement son parti d’être exilée loin de la cour et du beau monde. Ceci néanmoins le tourmente : « Je prendrai la liberté de vous demander si vous goûtez bien dans votre solitude le contentement de posséder la plus précieuse chose du monde en vous possédant vous-même tout à votre aise et en pleine liberté, si vous jouissez paisiblement de la chère compagnie de vos pensées… » Comment s’accommode-t-elle des « nobles » de son voisinage ? Ne la trouvent-ils pas trop aimable pour ne la point importuner de leurs visites ? A-t-elle inventé le moyen de « sauver et mettre à couvert de leurs persécutions » le temps de « lire les belles choses ? » Précisément, il venait de publier la Défense ; elle comprit : elle lut la Défense. Elle félicita M. Costar, et sur le ton d’un enthousiasme tel qu’il se méfia. « J’ai bien de la joie que mon livre vous ait plu, » dit-il. Et, jusqu’à ce point d’assentiment, il est crédule. Mais elle a parlé de ses « ravissements : » avant de se monter la tête, il attend « un second ordre et un commandement plus exprès. » En vérité, c’est trop : car il s’en aperçoit lui-même. Il engage Mlle de La Vergne à dissimuler son délire : « Autrement, mademoiselle, j’appréhenderais que ceux qui ne trouvent rien à dire en vous, sinon que vous avez la bouche trop petite et que vous écrivez aux beaux esprits n’y remarquent des défauts bien plus importants. Et, certes, il serait fort étrange qu’une personne que l’on appelle Incomparable, qui, dans la première fleur d’une excellente beauté, se passe si aisément de Paris et n’est point enchantée de la cour, eût découvert dans mon petit ouvrage quelque chose capable de la surprendre… » La lettre de M. Costar est assez jolie.

Ces lettres de M. Costar sont précieuses pour nous montrer