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ducs de France et « rois de Laon ; » fils-des soldats que les Capétiens jetaient contre les donjons de l’Aisne et fils de ceux qui, si âprement, les défendaient ; fils des gens d’armes qui, derrière Jeanne d’Arc, cheminaient un jouir de Corbeny à Compiègne ; fils plus proches des guerriers de l’Empereur qui, le 7 mars, vainquirent sur le plateau de Craonne, ils s’étaient montrais dignes des plus grands ancêtres. Les mêmes dieux avaient revu les mêmes hommes. Que dira-t-on de tous ceux qu’ils reverront en 1917 ? A travers les siècles, l’histoire ainsi se recommence. Un général de Maud’huy s’accoude le 15 septembre sur la tour de Roucy pour suivre sa bataille, au centre de cette ferté d’où, bardés de fer, des gens d’armes partaient pour battre le plateau ; il s’adosse, le 20, à l’arbre de Paissy où Napoléon s’était adossé ; il regarde nos hommes tenter l’assaut du camp de César. Un général de Lamaze se bat sur un terrain où se sont, — depuis ceux de Clovis, — livrés vingt combats. Mais il se faut élever au-dessus de ces détails et regarder la masse. La masse, c’est l’énorme forteresse de l’Aisne : vingt siècles ont passé depuis que César la contemplait, barrant en apparence la route a sa fortune ; elle a barré la route à bien d’autres fortunes qui, les unes en ont triomphé, les autres s’y sont brisées. Et, comme l’histoire est serve des lieux, les grands chefs de guerre avaient tous devant l’obstacle eu la même pensée : tourner le massif. Lorsque, fixant simplement l’ennemi, César lançait ses troupes alliées vers l’Oise, lorsque Napoléon, les yeux fixés sur le massif, essayait de jeter son armée dans la trouée de Corbeny, ils pensaient de même avec d’autres procédés : lorsque Joffre poussait Maunoury vers l’Oise, d’Esperey vers Juvincourt, il réunissait les deux plans. Il était donné à l’héroïsme de nos troupes d’en faire réussir trois ans plus tard un troisième, celui que tant de grands chefs n’avaient osé imposer à leurs soldats, cependant braves entre les braves : forcer de front la forteresse. Ce sera la bataille de 1917. L’héroïsme de l’éternel soldat des Gaules fait le lien des dix batailles de l’Aisne.


Louis MADELIN.