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campagne elle-même, les munitions menacèrent de manquer ?

Elles menaçaient de manquer quand déjà on pouvait prévoir qu’une autre bataille s’allait engager au Nord-Ouest et plutôt trois qu’une. Du jour où la Course à la Mer commençait, la Bataille de l’Aisne devait s’affaisser.

Elle s’affaissa. Pendant les derniers jours, elle ne fut plus qu’une bataille de fixation, une bataille d’accrochage, retenant l’ennemi et permettant ainsi à nos armées de gauche, en formation, de ne pas être débordées et peut-être de déborder. Pleines d’abnégation, les armées de l’Aisne assumèrent ce rôle ingrat. Puis, comme les autres, elles s’enterrèrent. Enterrées, elles continuèrent bien après le 1er octobre d’alerter l’ennemi. De la rive gauche de l’Oise à la plaine de Reims, cette guerre de siège ne fut plus, après le 15, menée que par les 6e et 5e armées. Elles devaient, — non sans de très vifs incidents dont les plus célèbres sont les surprises qui nous firent perdre Vailly, le 8 novembre, et toute la rive droite devant Soissons le 13 janvier, — garder sur ce front stabilisé le fossé que les tranchées allaient creuser entre la France sauvée et l’envahisseur. La bataille, en réalité terminée le 30 septembre 1914, ne se devait réveiller tout à fait que 928 jours après, le 16 avril 1917, où elle sera reprise à peu près sur les positions qu’occupaient nos troupes à la fin de cette bataille si essentiellement indécise et décevante.

Décevante, elle le fut pour les deux partis. Il y a peu de doute que l’Allemand n’y ait connu un nouveau mécompte, car, du massif si âprement défendu il avait entendu faire un tremplin pour une réaction qui, nous rejetant au-delà de l’Aisne, nous eût refoulés vers Paris. Maunoury constatait, dès le 23, la « réciprocité » des situations : les attaques allemandes étaient aussi vaines en résultats que les nôtres ; on se pouvait prendre ou reprendre un bois, un village, une ferme, une butte, mais l’inviolabilité des deux fronts, se créait. Nous avons entendu d’ailleurs la plainte d’un officier ennemi : « On ne peut les déraciner. » Aucun des deux partis ne put « déraciner l’autre. » C’est au cours de la bataille de l’Aisne que la guerre de mouvement se mua, — au grand dépit des deux partis, — en guerre de siège.

Plus peut-être que sur la Marne, nos soldats y avaient déployé une incomparable valeur. Entrer dans le détail de leurs