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appuyèrent vers le Nord-Est et en quelque sorte longèrent l’ennemi au lieu de l’assaillir. Et il faut ajouter qu’appuyant à droite, le bloc des futures armées de l’Aisne entraînait Maunoury hors de la voie où l’orientaient les instructions du Grand Quartier.

J’ai dit quelle avait été la conception de Joffre dès le 10. S’il tenait pour nécessaire de s’attacher à l’ennemi en retraite, s’il lui paraissait bon que les plateaux de l’Aisne fussent ensuite menacés de front, il entendait que le massif fût, non point pris d’assaut, mais tourné. Pendant que d’Esperey le tournerait à l’Est, comme Napoléon l’avait tenté, Maunoury, par un mouvement plus large et dont on pouvait plus attendre, l’envelopperait vers l’Ouest, ainsi que César y avait réussi. Ainsi la forteresse formidable dont Laon est l’imposant donjon serait-elle investie et tomberait-elle sans assaut. Mais un tel plan impliquait que, l’armée anglaise se chargeant de fixer l’ennemi sur les plateaux, on ne se lierait à elle que très largement, que dans chaque armée même, les corps, les divisions, les régiments renonceraient au coude à coude, « à ce souci exagéré de la liaison et de l’alignement » qu’un commandant de corps reprochait à ses divisionnaires. À la vérité, j’ai dit, — et je n’y reviendrai pas, « — ce qui excusait ce souci simplement excessif de la liaison, comment les lieutenants de Joffre pouvaient attribuer à ce « souci » le gain de la Marne, « t comment d’autre part le maréchal French, sans cesse « hanté de la crainte d’être découvert sur ses flancs, » recherchant la liaison à sa droite vers d’Esperey, tirait à son tour Maunoury et, insensiblement, le détournait de la voie normale.

Maunoury pouvait-il s’engager dès le 13 dans la vallée de l’Oise, sans qu’à sa droite le plateau fût occupé par ses troupes ? J’hésiterais à l’affirmer. Mais lorsque, le 15, il recevait le 13e corps, il était encore temps de tenter la manœuvre de débordement du massif : Maunoury le comprit et poussa ce corps vers Noyon. Il est possible que le sort de la bataille ait tenu à la conduite de ce corps d’armée. On sait qu’il se laissa arrêter et qu’ayant perdu deux jours, il fit dès lors échouer toute la manœuvre ;

C’est que chaque heure perdue, à plus forte raison, chaque jour perdu, diminuait à un point difficilement appréciable nos chances de succès. Le massif ne pouvait être tourné ou enlevé