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Puisque le dispositif de la bataille déjà livrée offrait à Joffre des ressources que, ni César, ni Napoléon n’avaient connues, puisque les armées de gauche étaient victorieuses de Nanteuil-le-Haudoin à Fère-Champenoise, puisque Maunoury, en particulier, était en quelque sorte tout porté par sa victoire de l’Ourcq vers l’Oise, et, de là, pouvait gagner la Haute-Somme, pourquoi ne tournerait-on pas simplement le massif par Compiègne, Lassigny, Roye et Péronne, ou tout au moins Noyon et la Fère, tandis que French le tâterait de front, que d’Esperey tenterait de le déborder à l’Est ?

Aucun doute n’est possible sur la pensée du général en chef. S’il ne cesse de presser les armées de son centre d’agir vigoureusement, s’il ne perd pas de vue le plateau de Craonne et la trouée que cette position domine à l’Est, c’est à Maunoury qu’il revient sans cesse ; c’est à lui qu’il a destiné dans la seconde bataille qui s’engage, entre Oise et Meuse, le rôle « décisif » : « Il faut prévoir, lui écrit-il dès le 11, que l’ennemi, faisant tête sur l’Aisne, il vous serait difficile d’attaquer de front et il paraît nécessaire que vous ayez le plus tôt possible des forces remontant la rive droite de l’Oise pour déborder l’aile droite ennemie, » Et nous verrons Joffre insister, à peu près tous les jours, sur la nécessité de tourner la position. Sa pensée s’est précisée dès le 12 très formellement : « Afin de déborder l’ennemi par l’Ouest, la sixième armée, laissant un fort détachement dans l’Ouest du massif de Saint-Gobain pour assurer en tout état de cause la liaison avec l’armée anglaise, portera progressivement ses gros sur la rive droite de l’Oise. » La préoccupation constante est de fortifier, de grossir, d’allonger l’armée Maunoury à l’Ouest du massif. C’est d’elle, finira-t-il par crier, que « dépend actuellement le sort de la bataille engagée. » Quelles causes empêcheront cette manœuvre d’avoir son effet, je le dirai dans la mesure compatible avec la discrétion encore nécessaire. Mais sur la pensée stratégique de Joffre, il ne fallait pas qu’un doute restât : le massif de l’Aisne devait être sans doute abordé au Sud, ne fût-ce que pour « fixer l’ennemi », il devait être plus sûrement tourné à l’Ouest. Ce fut le principe de la bataille de l’Aisne de 1914.

A dire vrai, la tendance des lieutenants de Joffre n’était pas, à cette heure, tout à fait conforme à ses intentions. Ces « généraux de la Marne » qui, de l’Ourcq à l’Ornain, venaient de