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ayant manqué son coup sur Paris et son attaque brusquée sur la France, allait, sans s’accrocher aux lignes de l’Aisne et de l’Oise, se rabattre sur la Meuse, et il le fallait vigoureusement reconduire. Ou, s’agrippant à ces lignes, il essaierait d’y faire front sérieusement ; et alors il se faudrait garder de s’y briser, mais bien plutôt tenter de tourner le massif soit à l’Est, soit, de préférence, à l’Ouest.

Le massif restait en effet celui qu’avaient, à tous les âges, de César à Napoléon, affronté avec appréhension les armées qui s’y heurtaient. Si l’antique Bibrax des Rémois s’était écroulé, si le Coucy des Enguerrand avait été en partie jeté bas, la forteresse naturelle restait, du massif de Saint-Gobain aux dernières pentes de Craonne, celle que nous avons décrite, et la falaise du Sud en particulier s’élevait, de Soissons à Pontavert, avec le même redoutable aspect qui avait fait repousser à Napoléon cette idée d’un assaut que Blücher lui avait un instant prêtée, l’avait jeté immédiatement vers la plaine champenoise, à l’Est, comme, dix-neuf siècles avant, César vers le Beauvaisis, à l’Ouest. Par surcroit, il était croyable que, s’ils s’arrêtaient là, les Allemands allaient utiliser, avec leur particulier génie de la fortification, la moindre terrasse, le plus mince couloir, la plus petite anfractuosité, que, non contents de relever les défenses existantes, ils sauraient se créer des « Camps de César » et des « châteaux de Coucy » de fortune, et qu’en un mot, ils feraient promptement de ce massif ce que les ennemis de César et de Napoléon eux-mêmes n’auraient su faire : une forteresse inexpugnable.

Sans doute pourrait-on tenter de les suivre d’assez près et de les poursuivre avec assez de vigueur, non seulement pour les rejeter au-delà de la rivière, mais pour les bousculer entre Aisne et Ailette, — et la chose était possible, puisque Maud’huy l’allait précisément faire. Et en ce cas, peut-être, — s’ils n’étaient qu’à moitié résolus à tenir là, ou si, pour quelque raison, ils en étaient empêchés, — arriverait-on à les reconduire au-delà du Chemin des Dames et de l’Ailette ; mais même rejetés de ce double mur d’enceinte, les petits-neveux de Blücher n’avaient-ils pas la ressource du vieux chef de guerre germain : le donjon imprenable de Laon ? Et si, après le redoutable mur, le donjon imprenable lui-même devait être enlevé, de quel prix se paieraient de pareils assauts ?