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disposions pas des mêmes moyens, nous mimes 33 jours pour gagner Kola, notre point de départ : détail curieux, nous devions quitter ce port un an jour pour jour, après notre arrivée.

A Pélrozawosk, nous rencontrâmes le général Niessel, chef des missions françaises en Russie : quand il nous fit ses adieux, il termina sur ces mots : « Bon courage, et dites bien en arrivant en France où la politique d’utopie et le manque de discipline ont conduit ce pauvre pays !… »

Malgré tout le plaisir que nous avions à penser que, dans quelques jours, nous serions enfin en France, dans nos foyers, tant de fois évoqués, si ardemment désirés, notre voyage de retour fut mélancolique. Alors qu’un an auparavant, nous suivions cette même voie, croyant aller vers un avenir plein de belles perspectives, où chacun de nous espérait faire flotter plus haut nos trois couleurs, nous revenions tristes et las. Tristes parce que nous considérions la fin lamentable de notre mission et les conséquences de l’abandon de notre alliée, comprenant bien que notre pays allait supporter plus lourdement encore le-poids terrible que rejetait sur lui ce lâche abandon. Las, parce que nous nous étions dépensés sans compter, parce que nos hommes au milieu des pires difficultés n’avaient pas cessé d’être un exemple vivant, une superbe leçon de choses donnée à tout moment à ces révolutionnaires inconscients, et que tant d’efforts et des peines si noblement supportées n’avaient abouti à rien !

Tristes et las, oui, mais non pas découragés : certes la tâche serait plus dure, mais plus le travail est pénible et plus la gloire sera grande. Or, que faut-il au soldat français pour oublier d’un seul coup blessures, fatigues, tourments ? un peu de gloire.

De Kola par l’océan Glacial, nous gagnâmes l’Angleterre : ce fut pour nous une stupéfaction, les premiers jours, de constater qu’il était encore au monde des pays où l’ordre régnait, où les chemins de fer n’étaient pas pris d’assaut, où l’on pouvait déjeuner dans un restaurant sans voir arrêter, son voisin, où les rues n’étaient pas balayées par les mitrailleuses !

Après une rapide traversée de l’Angleterre, nous arrivâmes en France le dimanche de Pâques. Heureux présage ! Encore une fois, on avait eu de durs moments ; mais le flot ennemi était enfin contenu.