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l’ensemble des usines dans un pays. Chaque fabrication, par le fait des matières premières, des combustibles et des travailleurs qu’elle emploie, comme en raison des clients auxquels elle s’adresse, comporte un ou plusieurs emplacements favorables, sur le choix desquels on n’hésiterait pas si l’on taillait dans le neuf. Cependant, d’autres usines se perpétuent par la force acquise, comme ces survivances d’un monde ancien que l’on rencontre en paléontologie.

Il faut un certain courage pour déraciner une main-d’œuvre ouvrière, pour changer les habitudes d’une clientèle, et l’on est alors tenté de laisser les lois de la concurrence accomplir plus lentement, quoique fatalement, leur œuvre ; mieux vaudrait cependant pour tous gagner le temps de cette évolution : toujours en vertu du même argument que les ouvriers arrivant, j’imagine, à produire pour cinq francs de plus-value par jour en un point, rendraient service au pays en se transportant sur un autre, où ils en produiraient dix. Mais d’autres considérations peuvent intervenir, en sens inverse, parmi lesquelles je n’en citerai qu’une, à laquelle on n’eût peut-être pas pensé il y a quelques années. Le voisinage de la frontière ou de la côte, qui présente des avantages pour l’exportation, offre en cas de guerre, — et il faut malheureusement songer aux guerres futures, — des inconvénients graves qui viennent d’être cruellement soulignés par la situation actuelle de nos principales houillères, usines de tissage et mines de fer. En dehors même des intérêts particuliers, que serait devenue la défense nationale, si notre industrie métallurgique du Centre avait tout entière émigré dans le Nord ou l’Est ?…

De toutes manières, il serait dangereux d’appliquer aveuglément les méthodes allemandes, non seulement parce qu’elles répugnent à notre caractère français, mais aussi parce que, nées de conditions différentes, elles nous amèneraient à des erreurs. Laissons nos voisins viser le « kolossal, » puisqu’ils ont à la fois le nombre des hommes et le type de matériel humain apte à constituer des troupeaux, avec la forme d’énergie indispensable aux mégalomanies modernes, des réserves de houille pratiquement illimitées. Nous aurons beau aménager nos forces hydrauliques et même un jour emmagasiner le soleil du Sahara, nous sommes et resterons « handicapés » par le manque de charbon, à la fois directement comme fabricants et