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débarrassés de lui, pour pouvoir continuer à piller tranquillement… On voit à ce trait quelles étaient les mœurs de ces rénovateurs de l’ordre.

Cependant les autres villes situées entre Loubny et Kiew continuaient à se rendre aux bolcheviks sans leur opposer la moindre résistance, de sorte que les trains blindés et tout l’échelon n’allaient pas tarder à entrer dans la capitale de l’Ukraine. Nous pensions tous que les Ukrainiens livreraient une bataille, et même feraient sauter le pont du Dnieper, ce qui aurait du moins ralenti et même arrêté leur marche pendant quelque temps ; il n’en fut rien.

Dans l’intérieur de Kiew, voici comment les choses se passèrent. Il existait dans la ville un noyau assez important de bolcheviks ; ceux-ci, apprenant l’arrivée du gros de leurs partisans, commencèrent à se remuer. Les Ukrainiens, qui se savaient en nombre, se groupèrent et contre-attaquèrent assez vigoureusement. Les bolcheviks, groupés dans l’arsenal transformé en blockhaus, se mirent à tirer de là sur la ville à coups de canon et sur les assaillants à coups de mitrailleuses. L’avantage resta aux Ukrainiens qui prirent l’arsenal et fusillèrent tous les occupants. Fiers de leur succès, les vainqueurs défilèrent dans les rues, musique et drapeaux en tête : abusés par la facilité relative avec laquelle ils avaient eu raison de cette résistance, ils pensèrent qu’il en serait de même avec les bolcheviks arrivant par la voie ferrée.

Ceux-ci, ayant pénétré de nuit dans la ville, commencèrent, dès le lendemain matin, leurs arrestations. Profitant de ce qu’ils étaient habillés comme les soldats russes, ils s’approchaient par petits groupes des passants bien mis et leur demandaient leurs papiers. Ceux-ci, sans méfiance, sachant que la veille au soir ils étaient encore sous la garde des Ukrainiens, présentaient la carte rouge délivrée par eux et qui leur servait de sauf-conduit. Dès que cette carte dénonciatrice était exhibée, les soldats disaient simplement : « Tourne-toi. » Toujours sans méfiance, les malheureux obéissaient : immédiatement ils recevaient deux ou trois balles dans la tête.

Cependant les Ukrainiens se rassemblaient et une grande bataille de rues qui devait durer plusieurs jours ne tarda pas à s’engager. Il y eut des barricades défendues par des mitrailleuses et même par des canons ; il y eut des charges à la