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armement, tout un arsenal : le grand sabre caucasien, deux revolvers aux côtés, souvent un troisième dans la poche, un poignard dans la ceinture, un fusil toujours muni de sa baïonnette (en Russie le fourreau n’existe pas), puis en bandoulière une bande de mitrailleuse servant de cartouchière. Cet accoutrement était porté par des gamins de quinze ans, à peine aussi hauts que leur sabre, tout de même que par des vieillards. Cependant l’âge du plus grand nombre de ces apaches ne dépassait pas la trentaine.

Pour les nourrir, des stocks énormes appartenant à la Croix-Rouge furent réquisitionnés, tandis que, venues de tous côtés, s’amoncelaient des quantités considérables de munitions.

Cette armée devait être transportée de Poltava à Kiew par voie ferrée, sur des trains dits blindés. Ces trains, en réalité, comprenaient, à l’avant de la locomotive, des wagons métalliques destinés au transport du charbon, sur lesquels on avait juché des pièces de 75 et de 105, puis, debout contre les parois, des plaques de tôle en guise de pare-éclats. Derrière la locomotive, de simples wagons de voyageurs, destinés à servir de casernement aux hommes et dans les couloirs desquels étaient installées des mitrailleuses. Le dernier wagon était toujours une voiture de train sanitaire, occupée par quelques jeunes et jolies infirmières.

Dès que l’expédition fut prête, les premiers trains s’ébranlèrent ; à chaque station, des détachements s’arrêtaient, descendaient en ville, s’assuraient des dispositions des habitants, laissaient des hommes à eux à la poste et à la gare, nommaient un commandant de la ville, puis reprenaient leur marche en avant, leur repli étant désormais assuré. D’ailleurs, qui aurait osé s’attaquer à eux ? Leur nom seul faisait trembler à dix lieues à la ronde. Bientôt ils arrivèrent à Loubny, où j’étais toujours, attendant, mais en vain, des ordres, et surtout de l’argent pour faire vivre mon détachement.

Le premier train qui arriva à Loubny était composé d’éclaireurs, sans armes apparentes, et qui avaient pour mission de sonder la population. Celle-ci les ayant reçus avec le pain et le sel, les pouvoirs furent immédiatement distribués. Un commandant de la ville s’installa à la gare, et des télégraphistes sûrs remplacèrent les Ukrainiens. Tout le système d’informations et de communications dûment occupé, les trains blindés